samedi 30 mars 2013

Madame Jean

 

J’ai fréquenté l’an dernier la Maison de la culture de Mirmont où Madame Jean donnait le vendredi après-midi ses conférences sur la peinture et les arts plastiques. Si la séance inaugurale de ce cycle de causeries portait sur l’œuvre de Georges de la Tour, les rendez-vous suivants traitaient tous du surréalisme pictural. Je me rendis aux deux premières journées consacrées aux précurseurs du mouvement : Gustave Moreau et Odilon Redon. Retenu ensuite par les cours de la Faculté de droit et découragé aussi par les manières de l’oratrice, qui m’agaçaient, j’arrêtais là mon initiation à la peinture des grands visionnaires.

Sous ses allures dégagées, Madame Jean était toute pétrie d'esprit scolaire : la méthode qui l'imprégnait et ne devait probablement rien à son invention personnelle, lui faisait aborder les œuvres de maître dans l’optique d’une phénoménologie axée sur la classification des genres, la hiérarchie des progrès en art et la typologie des créateurs plutôt que sur le sentiment de leur génie. Il semblait, à l’entendre, que donner au travers de la forme, d'un sujet et de son mode d'exécution, le rang d’une œuvre en la rattachant à une catégorie plus générale, et redresser en même temps les erreurs des critiques du passé, privés des techniques d’investigation et du critérium psychanalytique dont les chercheurs disposent aujourd’hui, représentaient pour elle l'unique objectif d'une connaissance érudite de l’art. À ce titre un Georges de la Tour était nécessairement « cubique » ; Gustave Moreau et Odilon Redon, des surréalistes d’intuition, avec derrière eux la somme caractérologique que requiert toute création issue des profondeurs. Madame Jean était de cette génération qui, à l’audition du nom d’Elie Faure, enfoui dans l'enfer des bibliothèques parce que dépassé, affirmait comme une évidence qu’il fallait maintenant lire René Huyghe et personne d’autre…

L’angle freudien sous lequel la conférencière considérait l’art pictural – et ce fut là l’un des motifs de ma désertion – expliquait la fidélité de son auditoire, l’attention dont il la couvait, pour ne pas dire la soumission qu’il lui vouait. Il faut savoir, et cet élément a son importance, que le public de Madame Jean était presque exclusivement féminin… À part un très jeune homme, un vieux monsieur et un étudiant venu accompagner une amie de son âge, je n’y vis pas le moindre représentant du sexe masculin. Encore dois-je préciser que les mâles dont je remarquai la présence insolite dans l’assistance n’étaient que d’épisodiques participants, fourvoyés dans cette serre chaude de la féminité pour des raisons de circonstance qui n’avaient certainement que très peu à voir avec un choix délibéré.

Le reste du public se composait d’une soixantaine de femmes, parmi lesquelles des étudiantes, des enseignantes sans doute, des jeunes filles venues se cultiver sans arrière-pensée utilitaire, accompagnées parfois de leur mère, des bourgeoises oisives, mûres, voire au-delà, qui formaient la phalange avancée de ce vibrionnant aréopage. Toutes étaient des habituées des cours de Madame Jean ; beaucoup se connaissaient. Aussi avant que la séance commençât, les bavardages allaient bon train dans un bruit de volière caquetante d’où fusaient des rires aigus et complices.

Quand Madame Jean apparaissait sur la scène, le silence se rétablissait de lui-même. Celle-ci (et à dire vrai c’est le seul aspect de sa personne qui méritât d’être noté tant sa conception de l’Art était encombrée de lieux communs livresques et de stéréotypes psychopathologiques) jouissait sur son public femelle d’un ascendant secret qui ne dérivait pas uniquement de l’admiration intellectuelle qu’elle était censée susciter ; il passait entre elle et la salle une sorte de courant physique, si je puis oser cette image, qui provenait d’abord de sa tournure virile : forte charpente, cheveu court, absence d’apprêt dans le vêtement, voix puissante et grave ; et aussi du ton raboteux dont elle s’adressait à son public. Elle doublait son allure mal équarrie d’un parler bourru qui la faisait aimer et craindre. Elle n’hésitait pas, pour la plus grande joie de ces dames ravies de renouer avec le bon temps où enfant elles essuyaient gronderies et réprimandes de leur maîtresse de classe, à leur faire de sèches observations, notamment aux retardataires qui s’exposaient avec délices à ses foudres, et aussi à la salle entière quand personne n’osait aller éteindre ou allumer la lumière avant ou après ses projections de diapositives.

Comme on pouvait s’en rendre compte en prêtant l’oreille aux propos que le public échangeait dans l’attente de la conférencière, les fidèles de Madame Jean ignoraient à peu près tout des rudiments de l’art et n’étaient sans doute pas près d’y connaître grand chose. Seuls, la personnalité de l’oratrice et le charme puissant qu’elle exerçait sur son auditoire les conduisaient à se frotter de culture. Madame Jean ne manquait pas d’un sel involontaire lorsqu’elle leur intimait de lire Rimbaud si elles ne voulaient pas se couper à l'avenir de leurs enfants. Sans doute les cas de rimbaldisme précoce se multipliaient-ils à Mirmont, et sévissaient-ils spécialement au sein de la petite et moyenne bourgeoisie de la ville où se recrutait le gynécée de Madame Jean, dont les rejetons, c'est connu, dévorent les Illuminations et autres Saison en Enfer comme un électuaire habituel à leurs inquiétudes…

L’ensorcèlement que Madame Jean vaporisait sur ses admiratrices reposait sur le lyrisme avec lequel elle parlait – et elle ne s’en privait pas ! – de la Femme. Ses exposés pour l’essentiel se passaient en envolées sur le beau sexe, en vibrantes descriptions de la féminité : aussi bien vestale, que pythonisse, que nymphe... La grâce d'une dryade, le dessin des hanches de telle jeune vierge, l’expression radieuse de la maternité lui arrachait des commentaires extasiés ; elle épanchait d'inépuisables dithyrambes sur le mystère du sphinx, l’Eternel Féminin, évanescent et brumeux s'il venait du Nord ou rayonnant et charnel lorsqu'il s'était incarné au Sud. Cette glorification passionnée de l’Eve transcendante, de la Venus idéale allait droit au cœur des femmes qui se sentaient reconnaissantes de ce culte absolu voué à la sensibilité et à la délicatesse de leur nature où chacune croyait s’entendre louer en particulier. L’admiration émue que Madame Jean professait à l’égard de son sexe ne se limitait pas à exalter la femme ; elle ne se privait pas de prendre à partie la masculinité, la virilité bestiale, la rusticité mâle aux formes balourdes et goujates, qui persistent comme un péché originel à déshonorer les représentants de ce genre grossier et déclassé que sont les hommes.

Convaincu de la vilénie de ma complexion masculine je renonçai à m’immerger dans un bataillon d’amazones avides d’un hommage exclusif rendu à la splendeur de leur corps sublime ; et, abjurant le culte hebdomadaire d’Antinéa, d’Elle-qui-doit-être-obéie auquel je n'avais aucune chance d'être un jour initié, je quittai obscurément la salle Léo Lagrange où personne n’avait d'ailleurs jamais remarqué ma présence.

dimanche 17 mars 2013

Arthur Baussard, compositeur (suite)

Un autre jour, Baussard nous entretient du mouvement lent de sa symphonie concertante pour clarinette et basson que l’Orchestre Régional de Gourmes va créer demain. Il le qualifie lui-même de « loufoque et sincère » et y découvre des éléments avant-coureurs de son évolution future : comme un présage d’une « ouverture des structures » et d’un « éclatement de la forme » qui sont ses ambitions majeures. Il estime avoir été avec ce morceau jusqu’au bout de ce que le génie contemporain peut tirer des formes de construction classiques et du langage tonal. Après quoi, il s’envolera vers un nouveau monde en rupture avec le legs musical du passé.

Il évoque devant nous la solitude et l’indifférence qu’il a connues à ses débuts alors que le conservatoire national supérieur de Paris et les cercles officiels de la musique représentaient pour le jeune homme qu'il était un zénith inaccessible.

Son seul soutien en ces temps difficiles, il le dut au mécénat d’une baronne hollandaise : il composait pour elle des mélodies qu’elle égrenait avec sentiment. Il aurait pu faire de ce commerce l’amorce d’une carrière complaisante qui l’aurait conduit sur les traces d’un Paul Delmet ou, dans le meilleur des cas, d’un Reynaldo Hahn… Mais honnissant la douceur amollissante des salons, Arthur Baussard qui était déjà un garçon sérieux, droit et pas flagorneur, préféra aux facilités de la coterie mondaine l’atmosphère probe des Ecoles de musique d’arrondissement et des Maisons de la jeunesse et de la culture.

Nous sommes au début des années 1970. La sensibilité musicale des élèves d'Arthur Baussard, tout imprégnés de son enseignement hâbleur et brouillon, dessine, dans le champ réservé de leur domaine artistique, comme une charte générique à laquelle il est indispensable d’adhérer à qui veut être reconnu comme un membre à part entière de la mélodieuse académie.

La première règle impose à l’élève instrumentiste de ne connaître de la musique que le répertoire qui fait la part belle à l’instrument qu’il pratique. Ainsi le flûtiste ne s’intéressera qu’au répertoire de la flûte, qui seul lui communiquera les ineffables jouissances qu’un mélomane ignare éprouve platement à l’audition des timbres et des compositions les plus variés. Le pianiste ne verra que désordre et perversion du goût à s’intéresser à toute partition qui ne contribue pas à illustrer la suprématie du clavier. N'insistons pas sur le mépris que l’apprenti chanteur voue à l’ensemble des instruments de l’orchestre auxquels il ne reconnaît d’autre fin que de mettre en valeur la couleur et la délicatesse de son organe.

La seconde règle frappe d'opprobre toute opinion qu’un simple amateur de musique ignorant des arcanes pédagogiques et administratifs du conservatoire, aurait la naïveté ou l’impudence d’émettre devant un élève dument estampillé par cet établissement. À moins de s'adresser à un élève de la classe d’art lyrique, laquelle est unanimement décriée par les tenants des autres spécialités musicales comme atteinte du vice rédhibitoire de dilettantisme, les convenances exigent de ne jamais entrenir un pensionnaire du conservatoire d’opéra bouffe, d’opérette, d’opéra comique et pas davantage de l’opéra italien de Rossini à Puccini, ni de l’opéra français de Grétry à Gustave Charpentier. Evitez de citer devant lui le nom de Wagner, peu en odeur de sainteté auprès des musiciens français qui lui reprochent sa boursouflure et sa lourdeur, quand ce ne sont pas ses accointances avec l'Allemagne nationale-socialiste... Mahler et Strauss ne sont guère mieux cotés. Que reste-t-il de grands hommes agréés au bois sacré d’Euterpe, si l’on ajoute que le piano de Chopin y fait figure de vulgaire boîte à musique dont les romances élégiaques signent la pauvreté d’inspiration ?

La moindre phrase musicale suffisamment mélodieuse pour toucher n'importe quel auditeur, même fermé d’ordinaire à la musique savante, et éveiller en lui une émotion qui s'apparente à la poésie du chant, paraît à la population des écoles de musique une facilité répréhensible. À deux titres : du point de vue esthétique parce qu’elle procède d’un abâtardissement de l’art, réduit à la forme plébéienne d’une rengaine, et du point de vue moral parce que, banalisant l’image du vrai musicien forgé par l’apprentissage de la théorie et du solfège, elle rend accessible aux ignorants un domaine dégénéré de la grande musique qui, par sa violation, leur donnera le sentiment sacrilège d’avoir pénétré, ne fût-ce qu’un instant, le langage des dieux. La Méditation de Thaïs vient en toute première ligne de ces œuvres déshonorantes pour le patrimoine classique ; l’air de l’Orphée de Gluck « J’ai perdu mon Eurydice », sans que la cabale des piccinistes y soit cette fois pour rien, la suit en bonne place dans la file des succès populaires malheureusement imputables au dévoiement de la musique sérieuse. Gluck, ironisent les élèves du conservatoire, écrivait une musique si dénuée d’expression qu’elle peut porter aussi bien le poème de la déploration d’Orphée que les paroles d'un hymne à la joie. L’orchestre de Verdi avant Othello n’est qu’une « grande guitare » ; la musique moderne est née avec « Le Pierrot lunaire » etc.

Le cas de Mozart reste tangent… comme celui d’un compositeur qui ne s’est pas assez soucié d’innover pour mériter de laisser une marque définitive dans l’histoire de la musique. Les grands orchestrateurs, Berlioz et Ravel, sont en revanche à l’honneur. Debussy avec eux. Encore faut-il retirer de ce florilège la partition de Pelléas et Mélisande qui continue à susciter de vifs accès de fou rire dans les classes d’histoire de la musique, surtout le « Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas ! » de Mélisande à l’acte I... Bartok, Stravinsky, Messiaen, Dutilleux, Varèse et Xénakis brillent de tous leurs feux dans la constellation des génies contemporains dont il est obligatoire de vénérer l’avènement.

Le malheur veut que les élèves du conservatoire n’écoutent que fort peu les œuvres des musiciens qu’ils admirent et pas du tout celles des autres. Les choix qu’ils opèrent leur sont dictés par un esprit d’équipe ; il leur interdit, comme futurs professionnels, de perdre leur temps à entretenir un éclectisme de mélomane qui les couperait de leur milieu spécifique. Leurs connaissances en théorie musicale, en lecture et en déchiffrage attestent la sûreté de leur goût artistique et les font évoluer sur la scène musicale comme Renaud dans le jardin d’Armide, dispensés par cette familiarité d’en apprendre davantage. La modestie, cependant, ne déparerait pas les conservatoires ; l’amour désintéressé de la musique, même avec les excès qu’il peut engendrer chez ses tenants les plus impressionnables, s’avère bien souvent plus éclairé chez les simples mélomanes que servi par l'esprit vétilleux et grégaire des établissements d’enseignement musical.

samedi 2 mars 2013

Arthur Baussard, compositeur

 

J’ai obtenu du conservatoire de Mirmont l'autorisation de suivre en auditeur libre le cours d’histoire de la musique donné en classe supérieure par Arthur Baussard, musicologue et compositeur. C’est un homme de taille moyenne, un peu gras, âgé de quarante ans environ, le visage dilaté, surmonté d’une chevelure de jais qui boucle. Il souligne ses propos, généralement enflammés ou lyriques, d’une gesticulation expressive. Aujourd’hui il nous fait entendre sur un gros magnétophone sa composition Trajectoire IV interprétée par l’orchestre de Radio-Toulouse qui répète pour France-Musique.

Trajectoire IV écouté dans un silence religieux, Baussard aborde le commentaire de l’œuvre en s'étendant longuement sur sa genèse et la nature de son inspiration. À partir de là une discussion s’instaure sur le sens de la musique, le rôle du musicien et l’utilité de la culture prise comme instrument conceptuel ou comme agent de cohésion sociale : l’artiste peut-il conserver son indépendance s’il est rétribué par la collectivité ? mais celle-ci n’a-t-elle pas le devoir de lui assurer les moyens de subsistance nécessaires à sa liberté de créer ? S'y ajoutent les inévitables clichés humanistes (oui mais l’art doit être au service de tous, et non pas favoriser les intérêts d’une caste cultivée) et les professions d’altruisme obligées (la distinction entre bons et mauvais artistes revient à nier la richesse de l’expression individuelle, supérieure à toute critique dès lors qu’elle est spontanée, et à lui substituer une prétendue échelle de valeurs esthétiques qui instaure un système de clivage). Pétitions généreuses ou tribut complaisant payé à l’esprit du temps, les points de vue fusent dans un bouillonnement d’idées où narcissisme artistique et conscience universelle, portés par les thèmes éternels du ressentiment et de l’impuissance à concevoir, semblent avoir modestement décidé, sous les moulures et les lambris défraîchis de la salle Saint Saëns dont l’administration du conservatoire nous ouvre les portes le mercredi soir, de fêter de poussives noces de diamant. Manifestement, Arthur Baussard maîtrise ce registre ; il a rôdé son éloquence et sa philosophie d’homme de bonne volonté dans maint atelier, colloque et comité de réflexion sur l’activité musicale et le statut du musicien. Il est mûr, cela se sent, pour une place de notable libéral, honoré des pouvoirs publics et ami du progrès.

Comme la jeunesse est une qualité qu’il est moins facile de posséder que de contrefaire, ce sont chez lui à tout bout de champ des « c’est passionnant », « nous vivons, je crois, une époque merveilleuse », « c’est très marrant, vous verrez », « c’est très chouette »… expressions inhérentes à l’examen des « problèmes » que pose et essaye inévitablement de résoudre une conversation entre « jeunes ». Voyez :

– La culture, c’est ça le problème ! Il faut surtout éviter qu’elle devienne un carcan… Moi, j’ai bien l’impression que si on regarde une œuvre horizontalement, hé bien, plus rien ne va ! Vous n'avez pas remarqué ? Ça devient obscur, confus, opaque, vous n’y comprenez plus rien… Mais pour en retrouver le sens, essayez donc de la regarder verticalement ! Là tout est changé. L’optique n’est plus la même ; la vue devient globale… vous atteignez un point dominant, une sorte de synthèse qui vous donne la clef du truc. Le Tout, quoi ! Le sésame. Seulement ça, les profs de fac ne veulent pas le comprendre ! Et si les gars mettent le foutoir sur les campus c’est qu’ils en ont marre, marre qu’on leur inflige encore des discours sur les maîtresses de Victor Hugo, celles de Flaubert et de je ne sais qui. En quoi ça les regarde ? Est-ce que ça les intéresse ? Ce n’est pas ça la culture ! Et encore, je vous parle des maîtresses de Hugo ou de Flaubert… ce n’est pas tant qu’il soit inutile de les connaître, de savoir qui elles étaient, quel rôle elles ont tenu, mais encore faut-il le faire dans un certain esprit…

[Baussard devait faire peu de temps après la preuve de la pertinence de ses avis en nous énumérant dans le détail la liste des amours de Beethoven et en consacrant la presque totalité d’un cours au trio Richard Wagner/Minna Planer/Mathilde Wesendonck, « dans un certain esprit » évidemment…]

Autre idée-force d’Arthur Baussard : « Aujourd’hui, nous avons connaissance de cultures nouvelles, asiatiques, africaines. Pour notre société, pour nous-mêmes, c’est  une donnée absolument déterminante », ce à quoi l’assistance, composée de jeunes citadins qui jettent sur les civilisations étrangères le regard universel des natifs de Mirmont, s’empresse d’opiner avec conviction.

Enfin, nous trouvons chez Baussard un trait révélateur de l’impartialité de la corporation musicale et de son estime pour les représentants des autres disciplines artistiques. Notre professeur de musicologie, en dépit de l’éclectisme dont il fait si volontiers parade, ne trouve rien de mieux, pour dépeindre l’indignité du musicien et spécialement du compositeur traître à son art, que de le comparer au sculpteur qui, lui, se contente de travailler la pierre quand l’auteur d’une sonate, d’une symphonie ou d’un oratorio digne de ce nom « s’exprime » et « s’engage » dans la musique sans se cantonner au modelage de la pâte sonore.

J’aurai terminé le portrait de Baussard en disant qu’il parle avec une recherche de bigarrure qui, alliée à l’inflexion commune de certains de ses effets oratoires, et plaquée sur un vocabulaire tout ensemble pompeux et relâché, produit un complexe hétéroclite de préciosité et de vulgarité ; il affectionne les accumulations d’images et de périphrases où il lui arrive souvent de se perdre. « Je suis un grand intuitif et – je peux le dire – un personnage sensible » avoue-t-il à l’occasion d’excuses qu’il adresse à ses élèves pour avoir formulé un point de vue sévère sur le niveau des candidats à l’examen d’histoire de la musique de l’année précédente. Il s’ébroue pendant un bon quart d’heure dans un bain d’attrition dont le volume déborde en une cataracte verbale agitée et expansive. Il assure : « Je n’ai pas d’arrière-pensées ; je ne suis pas un homme à arrière-pensée. » Mais conçoit-on une pensée née d’elle-même, qui n'ait ni antécédent, ni fondement ? Il a pour prétention de faire de l’animation musicale ; lui seul, en attendant, s’anime… Il s’en excuse d’ailleurs spontanément. « Je suis bavard, c’est mon défaut. Mais au moins le suis-je avec intensité » précise-t-il pour se justifier.

(à suivre)