jeudi 29 novembre 2012

La Famille Michalon

Je me dois d’apporter quelques précisions sur la famille Michalon dont le nom apparaît dans la chronique consacrée aux frères Gros.

 

En famille

 

De quelque côté qu’on prenne Madame Michalon, et quelque impartialité qu’on y mette, on ne peut lui trouver que des défauts ; pas le moindre coin de bonté ou d’indulgence, aucun de ces mouvements de bienveillance ou de sensibilité que viendrait seulement gâcher une réalisation maladroite. Florence, puisque tel est son prénom, est une nature vigoureuse, coriace, entreprenante qui doit dépenser un trop plein de flux d’énergie dans une activité inlassable et désordonnée. Cette  vigueur, elle aurait pu la mettre au service d’une cause respectable en se dévouant à son entourage, mais elle a préféré l’utiliser à des fins égoïstes pour satisfaire sa rude convoitise et sa rage d’autocratie.

Prenons les choses par le commencement : Florence nait dans un foyer aux origines modestes, d’un père contremaître dans le bâtiment. Elle fait des études de secrétariat avant d’être un moment employée dans le cabinet de l’avoué René Moisson, futur président du conseil de la IVe République. Curieusement, cette femme intraitable gardera les meilleures relations avec son ancien patron. Il sera d’ailleurs présent en 1962 au repas qu’elle donnera pour la communion solennelle de son fils aîné, Jean-Yves.

Elle rencontre le juge Xavier Michalon au lendemain de la guerre alors que celui-ci, de retour d’Allemagne où il est resté en captivité pendant plusieurs années, vient de rompre son union avec sa première épouse dont il a divorcé pour des raisons qui ne sont pas officiellement connues mais qu’on imagine sans mal. Florence le séduit aisément : grande, bien en chair, libre de manières, c’est un type de femme qui attire les hommes par son épanouissement et sa santé. Le relâchement de son éducation, le charme trivial qu’elle dégage, son aplomb calculateur auront vite raison des défenses du magistrat, esseulé et trop peu dégourdi pour résister à cette fée. On peut la dire appétissante. Ses traits, s’ils manquent de finesse, sont réguliers quoique sa bouche dont le rouge à lèvres corrige le dessin naturel, soit trop mince ; l’expression des yeux est vive mais s’enflamme, dure et aiguë, lorsqu’elle spécule sur le parti à tirer des circonstances ou des êtres qui la côtoient.

 Monsieur Michalon est, lui, un brave homme, rond au propre comme au figuré, mou avec une vocation avouée d’homme d’intérieur. Jovial, il a pour habitudes de fumer la pipe revêtu d’une veste d’intérieur molletonnée à brandebourgs, de parcourir les classiques de la littérature où il trouve Dieu sait quoi de commun avec l’univers conjugal qu’il s’est forgé, et de barytonner d’une voix grasse des refrains indécis. Il affiche en règle générale un optimisme amusé, juste coupé de quelques colères tapageuses et stériles qui n’effraient personne et s’éteignent au premier acquiescement de l’épouse, laquelle prend pour la circonstance un ton timide et soumis dont l’humilité désarme l’ire de son seigneur et maître. Il est net que Madame Michalon a pour vocation de porter la culotte ; et de fait, elle va pendant trois décennies régner en virago sur son ménage.

Pour résumer la psychologie protéiforme de Florence Michalon il faut en extraire le trait fondamental qui est sa terrible soif de domination. Sauf les concessions de pure forme qu’elle consent dans les cas extrêmes à l’autorité de son mari, elle asservit aussi bien celui-ci que leurs enfants et leur domesticité aux lubies d’un arbitraire incessant. Ce sont des criailleries, des réprimandes, des injonctions, des consignes, des sommations, des ordres systématiques, destinés à apaiser une maladive passion de l’autorité. En toute chose elle intervient, censure, légifère, prohibe, châtie comme un roitelet tyrannique et absolu.

La maison des Michalon, située à l’extrême limite du centre-ville, en lisière de la banlieue Est, à quelques centaines de mètres du cimetière monumental, est tenue avec un soin jaloux, rutilante comme l’aire d’exposition d’un fabricant de meubles industriels. Tout est verni, laqué, recouvert de napperons, ciré, protégé par des housses. Des patins de feutres sont rangés à l’entrée de la salle à manger ; les familiers qui ont accès au saint des saints du gynécée Michalon sont priés de les placer sous la semelle de leurs chaussures afin de ne pas risquer de ternir les reflets d’un parquet miroitant. Les enfants, quand ils regardent la télévision le jeudi après-midi sont assis droits sur leur chaise, avec interdiction de poser les mains sur la table qui se tient trente centimètres devant eux, « pour ne pas salir ».

Jusqu’à un âge avancé, ils n’auront pas la permission de sortir dans la rue sans être accompagnés. Jean-Yves a dix-huit ans, qu’il dîne encore le soir avec les plus jeunes avant le repas de ses parents. Pendant le déjeuner de midi, la parole appartient à la maîtresse de maison qui gourmande, interroge sur les résultats scolaires qu’elle surveille d’un air inquisiteur et interpelle ses fils et son mari par leur nom patronymique : « Dis donc, Michalon ! » quand ce n’est pas, sous sa forme abrégée, « Dis donc Miche ! ». Les jeunes bonnes qui défilent chez elle sans trop s’attarder, revêtues d’une même blouse bleue ornée d’un col et de poignets de corsage blancs, essuient les plâtres d’incessantes réformes domestiques. Florence les cueille à l’assistance publique qui lui fournit son contingent de soubrettes à peine sorties de l’enfance sur lesquelles elle s’entend à exercer un pouvoir tracassier et sans entrave. Les plus rétives à ce régime d’encasernement finissent sourdes sous la voie claironnante de la maîtresse de maison, les attrapades et les directives contradictoires lancées à la cantonade d’un étage à l’autre de la maison.

Madame Michalon, comme je le disais, veille de la façon la plus vigilante sur la scolarité de ses enfants. Elle les fait travailler le soir après l’école, contrôle leurs notes, leur défend les distractions de leur âge pour les rendre d’autant plus besogneux et les soumet à un système d’interrogatoires et de punitions qui entretient autour d’elle une atmosphère de terreur à laquelle elle prend un plaisir féroce. Elle se repait des plaintes, des grincements de dents, des vexations de son entourage ; elle jouit à l’idée de vaincre les résistances, de plier les siens à ses exigences despotiques dont le courant endiablé est nécessaire à son équilibre. C’est ainsi qu’elle règlemente avec un appétit carnassier tous les détails de la vie familiale, pour s’offrir autant de possibilités de réprimer des infractions absurdes ; qu’elle formule des préceptes dans le seul espoir de les voir transgresser et de se ménager autant d’occasions d’humilier les fautifs. La plus grande des soumissions ne parviendrait pas à satisfaire Florence tant ses lois capricieuses fluctuent et se contredisent. Telle une fois, l’apostrophe adressée à Marie-Sophie : « Allons, ma fille, ne reste pas toute seule dans ta chambre, va jouer avec les garçons ! » devient vingt minutes plus tard, à la suite d’un revirement mystérieux, la consigne opposée : « Marie-Sophie, arrête d’embêter les garçons, remonte dans ta chambre ! »

(à suivre)

samedi 10 novembre 2012

Les Joies du camping (1972)

Le terrain de camping de la Faute-Sur-Mer est désert en ce début de mois de septembre. Une dame d’une soixantaine d’années qui occupe avec son mari une tente un peu plus loin, nous parle de son petit-fils, âgé de quatre ou cinq ans. L’enfant est à ses côtés.

– Il nous donne du souci, vous savez. Il n’est pas solide, cet enfant. Il n’a pas de santé. Regardez comme il est peu développé pour son âge ! Il a fait du rachitisme quand il avait deux ans, ça se sent. Il tient de son père qui est fragile. Ce n’est pas comme son frère aîné qui a six ans : il est fort celui-là, vous verriez ! Il est de notre côté au contraire, râblé !

Par politesse nous défendons la cause du petit souffreteux :

– Il ne semble pas si mal portant que cela.

– Non, reprend l’intarissable grand-mère. Ce n’est qu’une apparence : il est gonflé !

Sans transition elle nous salue avant de regagner sa tente :

– Enfin, on est là pour oublier…

Elle s'éloigne, en chapitrant le malheureux marmot :

Si tu en laisses dans ta culotte, tu auras une claque !


 

 

mardi 6 novembre 2012

La Famille Gros (suite n°V)

(Au palais de justice de Mirmont, les membres du « petit personnel », comme on disait à l’époque, étaient plus sensibles à l’influence pernicieuse des dossiers criminels dont ils humaient le fumet roboratif dans les aîtres de la Cour, qu’à l’idéal de rigueur morale qu’aurait dû leur inspirer la fréquentation des magistrats. Ainsi Jules qui était l’équivalent d’Arthur pour le parquet général, était intempérant et battait sa femme. C’était d’ailleurs son beau-père, Joubert, lui aussi employé à la cour d’appel comme concierge, qui lui avait donné l’habitude de s’enivrer. Jules fut congédié à la suite d'une triste affaire qui le conduisit sur les bancs de la correctionnelle : il avait été signalé à la police par des filles attablées à la crêperie La Malouine, à l’intention desquelles, placé sous l’une des portes du palais, il dévoilait la plastique avantageuse d’une partie intime de son anatomie.)

Qu’advint-il de Gilles Gros ?

Cet étudiant si prometteur a fait, comme on pouvait le prévoir, une brillante carrière dans l’administration préfectorale et au ministère de l’intérieur. Après avoir débuté par des fonctions de secrétaire général, il fut nommé sous-préfet aux Sables d’Olonne. Là, pour marquer sa modernité, il fit repeindre en orange, dans le goût du design pompidolien qui régnait encore en province, les plinthes, les chambranles, les lambris de bois et les huisseries de la sous-préfecture. Il dota en outre le salon de réception de l’édifice républicain de deux lustres volumineux composés de grosses boules de verre reliées à une attache centrale, d’où pendaient et remontaient vers le plafond des fils électriques recouverts d’une épaisse gaine en caoutchouc noire, qui restèrent en place et témoignèrent des idées avancées du sous-préfet Gros jusqu’à la fin des années 90. Gilles avait beau considérer l’institution à laquelle il appartenait comme uniquement justifiée par la possibilité qu’elle lui donnait d’y faire carrière, il était néanmoins imbu de cette fatuité professionnelle qui, avec l’âge, ne se satisfait plus de ses propres réalisations et veut attribuer à ses ambitions un sens supérieur, propre à relever l’éclat de sa réussite par l’estampille du bien commun. En mal de cette honorabilité dont le besoin finit par tarauder les plus cyniques, Gros accoucha après trente ans de bons et loyaux services dans l’administration française d’un livre au titre immodeste et vague qui restera dans les annales de l’édition française comme l’un des fleurons de la rubrique des invendus ; il y énonçait de profitables leçons de civisme et exposait solennellement des idées de réforme maintes fois ressassées avant lui, pour conclure qu’il était urgent d’améliorer un état de chose auquel il avait collaboré sans répugnance pendant trois décennies. « Ma France », tel était le titre de ce digeste de réflexion politique. Entre temps, Gilles Gros avait donné à la Société de son temps les gages de droiture et d'abnégation dont Marie-Pascale Lambert, plus que quiconque, pouvait se porter garante.

J’ai gardé en mémoire l’arrivée en voiture de Gilles et de Marie-Pascale, tout jeunes mariés, dans le parc de l'ancienne abbaye où se déroulaient les festivités nuptiales… Je revois aussi Patrick, le visage fermé, le dos voûté, sombre et solitaire, assistant avec une expression tragique à l’enterrement de ses années de jeunesse dont son frère Gilles avait été le meilleur ornement ; et celui-ci, penché à la fenêtre arrière du véhicule, assis aux côtés de sa jeune épouse, balayant l’assistance d’un regard triomphant, malin et aigu…

Près de quinze ans plus tard, cette union, semblable en cela à bien d’autres, se dissolvait ; Gilles laissait sur le carreau une femme ulcérée et deux filles dont l’aînée, à peine adolescente, lui voua à partir de là une juste détestation et refusa de le revoir. Il avait décidé de faire don des premiers fruits de sa réussite professionnelle à une kinésithérapeute rencontrée au hasard d’une de ses affectations, dans le département de la Somme, en effaçant d’un trait les années où Marie-Pascale avait travaillé à l’amorce de sa carrière et s'y était pleinement dévouée.

L’ancienne étudiante Marie-Pascale Lambert avait finalement intégré le statut de femme divorcée dont elle s’était vantée, à peine quelque mois avant d’accepter la main de Gilles Gros, lorsque dans les couloirs de la Faculté de droit de Mirmont elle hélait une ombre fugitive comme étant celle de son ex-mari.

Voilà Ma France...

 

[Nous retrouverons Gilles et Patrick Gros dans La famille Michalon ci-après.]

 

 

 

 

 

 

samedi 3 novembre 2012

La Famille Gros (suite n°IV)

 

 

Par malheur pour Gilles, Alice éventa la manœuvre. Elle comprit que notre hôte avait fait en sorte de découvrir l’endroit de la galette où se trouvait la fève, et qu’il se proposait d’en faire hommage à Denise en lui donnant la part qui contenait le précieux ajout. Alice, mi-plaisante, mi-sérieuse, dénonça tout haut la supercherie et réclama une nouvelle distribution du gâteau, sans fraude cette fois. Gilles en fut quitte pour s’incliner ; beau joueur, il fit semblant de s’être livré à une tricherie innocente qui n’avait d’autre but que d’être surprise et d’amuser la compagnie ; et, forcé de remettre au hasard le succès de son industrieux manège, il obtint de la chance qu'elle désignât Rémy Ervel pour le roi, lequel choisit bien sûr Alice comme reine.

Malgré son charme, la petite réception mit un terme à nos relations régulières. Ce n’est pas qu’à la suite de cet épisode les Gros renoncèrent à débarquer chez nous, mais nous sûmes leur témoigner une fraîcheur qui les persuada que leur venue n’était plus jugée opportune.

De fait, nous avions cessé tout contact depuis trois mois quand Gilles et Patrick se manifestèrent à nouveau et sonnèrent à notre porte avec une aisance imperturbable. Ils nous expliquèrent qu’ils regrettaient de ne pas nous voir plus souvent, et qu’ils se proposaient de remédier au plus tôt à cette lacune. La cause de leur revirement était claire : Gilles avait échoué auprès de Denise et sans désemparer l’avait, comme d’ailleurs son frère Rémy, reléguée au magasin des oripeaux. Il ne fut pas compliqué de les faire parler des Ervel ; Gilles avec sa passion du dénigrement ne rata pas l’occasion d’exhaler sa rancœur et de mettre les choses au point en nous signalant que la voie était pour nous redevenue libre. Denise jadis « charmante » se voyait à présent surnommée « rase motte », allusion gracieuse à sa petite taille. Elle était devenue « complètement à gauche, de plus en plus catho », il n’y avait « rien à en tirer : une vraie c…. ». Rémy avait sa part des amabilités : « Il empire ; il devient de plus en plus c…, morne, éteint. Et lui aussi il est P.S.U. maintenant. » Patrick approuvait, toujours d’accord avec son frère ; quoiqu'il n'eût pas le caractère retors de Gilles, il ratifiait tous ses points de vue, par mollesse et par une gourmandise paresseuse pour ses sorties assassines ; à la différence de son cadet, il n’y avait pas en lui de traits de malveillance et d’hypocrisie, si ce n’est, par apathie, ceux qu'il avait contractés au contact de ce frère trop astucieux et zélé.

(Patrick manquait d’assurance. Comme la plupart des personnes à qui il n’arrive jamais rien, faute de courage pour entreprendre ou de séduction, il adorait les intrigues tramées par son entourage, qui lui permettaient de savourer par procuration le piquant dont son existence était dénuée. Les volte-face menteuses de son frère, ses calculs, sa duplicité lui servaient continuellement d’excitant. Il les prisait d’un petit rire friand. Son meilleur ami, Hugon, un étudiant en médecine, avait de son côté des histoires extrêmement complexes avec un « gros boudin » du nom de Sylvie ou Sophie avec qui il se fâchait et se réconciliait à une allure ultra-précipitée. Patrick dans ce nœud de gaffes sentimentales et de coups de Jarnac jouait les intermédiaires, les messagers confidents, les arbitres et les négociateurs. Cela donnait une partie à trois sans gagnant ni perdant mais continuellement surabondante en péripéties.) 

Denise et Rémy Ervel discrédités, nous n’avions aucun désir d’investir la place laissée vacante par leur chute et les efforts que firent Gilles et Patrick en ce sens, restèrent sans réponse de notre part.

Que devint Denise Ervel ? Elle s’est mariée en 1971 contre la volonté de son père qui trouvait indigne de sa lignée l’éducateur spécialisé dont elle voulait faire son mari après l’avoir rencontré dans un groupe de jeunes catholiques qui avait abrité leurs amours naissantes pendant les vacances d’été. Cette mésalliance fut un baume pour la susceptibilité toujours à vif de Gilles, qui n’avait pas oublié, et surtout pas digéré, les rebuffades que la fille Ervel lui avait infligées.

Bien que dotée d’un physique assez ordinaire qui lui aurait permis, dans une escouade scoute, de postuler le totem de « marmotte étonnée », la charmante Denise Ervel ne manquait pas d’admirateurs… Gilles bien sûr. Mais aussi Arthur qui prit sa suite. Ce dernier était le planton du palais de justice de Mirmont que ses fonctions attachaient notamment à la première présidence.

Arthur avait su s’attirer l’estime de Monsieur Ervel par des manières aimables et empressées. Grâce à de nombreux services rendus en dehors de ses heures de travail, il était parvenu à se rendre d’une utilité envahissante dans le foyer du premier président. Il commença par lancer des œillades langoureuses à Denise, avant de prendre la liberté de l’appeler par son prénom et de lui tenir des discours indiscrets. Ne sachant quelle contenance adopter, celle-ci n’osait pas le rabrouer dans les formes qui convenaient ; elle se résolut à s’en ouvrir à son père qui, en homme mûr et indifférent qu’il était, ne s’alarma pas outre mesure des révélations faites par sa fille, dans lesquelles il ne voyait que les inventions pusillanimes d’une gamine. Mais il en alla autrement peu après quand il découvrit qu’Arthur, inspiré par la séduction que sa fille exerçait sur lui, avait creusé depuis le grenier un trou qui, traversant le plancher, donnait, à travers le plafond de la salle de bains, sur le cabinet où les divers membres de la famille Ervel vaquaient à leur toilette et à leurs soins d'hygiène. L’appartement de fonction du premier président étant logé dans une aile du palais à laquelle on pouvait accéder depuis les bâtiments judiciaires par un grenier commun, Arthur jouissait ainsi d’un observatoire de choix d’où il pouvait à loisir surprendre les ablutions les plus intimes du premier président et de ses proches. On peut penser que le serviteur modèle cantonnait son espionnage aux apparitions de la fille, de préférence à celles du père et même de la mère qui n’était plus de la prime jeunesse et de surcroît, à la suite de je ne sais plus quel accident, avait une jambe plus courte que l’autre.

Pris sur le fait, Arthur avoua son forfait et fut remercié sans scandale. Il s’avéra donc que Gilles, s’il n’avait pas poussé les investigations aussi loin, avait eu les mêmes curiosités qu’Arthur dont l’acharnement et la créativité attestent définitivement son bon goût.

(à suivre)


 

 

mercredi 31 octobre 2012

La Famille Gros (suite n°III)

Tout à ses soucis d’amoureux contrarié, Gilles éprouvait le besoin de se confier : j’eus droit au récit cent fois répété et commenté de ses tumultueuses amours. J’écoutai avec patience l’insipide roman de la fausse conquête de Marie-Sophie et le relevé emphatique des qualités, des dons et des agréments de l’enchanteresse. Aucun épisode, si minime fût-il, ne me fut épargné. Lorsque la situation s’affirma pour ce qu’elle était, c'est-à-dire sans issue, Gilles qui était au fond un pragmatique, détourna assez vite ses vues sentimentales sur un nouvel objet.

Depuis quelques temps il donnait des cours particuliers de droit à la fille du premier président Ervel, Denise, qui entrait en troisième année de licence. Elle était petite avec un nez pointu et légèrement courbé, grassouillette. Timide, affable, elle vivait ainsi que son frère Rémy en conflit permanent avec leur père qui passait communément pour un caractère faux, exigeant et borné.

D’origine modeste, Monsieur Ervel attribuait sa réussite à la seule ténacité d’une nature entreprenante dont il se reconnaissait le mérite exclusif. La chance lui avait souri en lui permettant d’épouser une femme dotée d’un patrimoine confortable. Cette bonne fortune, si on la rapprochait de l’absence de séduction de l’heureux gratifié, dégageait comme un mystère qui en définitive plaidait pour lui. Son allure corpulente et son regard torve dénotaient un je ne sais quoi évoquant le bazar, la brocante, la salle des ventes ou toute autre institution mercantile dédiée à l’économie de troc et de marchandage. Pourtant, il avait conquis le cœur d’une fille de la meilleure bourgeoisie d’Angoulême, qui pouvait certainement, à l’époque où il l’avait rencontrée, prétendre à une union plus honorifique. À côté de ses qualités insoupçonnées dont Madame Ervel avait su percer le secret bien gardé au temps de leurs fiançailles déjà lointaines, son ascension spectaculaire avait développé en lui une espèce de folie des grandeurs – un goût du faste professionnel qui jurait avec les apparences modestes et discrètes que se donnait encore la magistrature dans les années soixante. Tout cela, mixé sans grande cohérence avec un vieux fonds de christianisme social-démocrate dans la note de son sud-ouest natal… Pour la moindre de ses sorties en voiture, le premier président requérait de la gendarmerie une escorte motorisée qui devait lui ouvrir la voie comme à un chef de village africain briguant le trône impérial. Reportant ses ambitions sur ses deux enfants dont il attendait le meilleur, il leur promettait les récompenses les plus extravagantes s’ils réussissaient leurs examens et, dans ce but, les astreignait à un régime de révisions forcené.

Denise était sotte. Au début Gilles ne se gênait pas pour en convenir. « Je ne vois vraiment pas, disait-il, ce qu’elle fait en Faculté ! » « Sa réussite à son examen est une injustice » commentait-il d'un air sévère. Il lui reconnaissait très peu de facilités aussi bien dans le domaine particulier du droit que pour le reste. Par la suite, quand il commença à s’intéresser à elle, Gilles mit l’accent sur sa gentillesse et évita de parler de ses capacités intellectuelles. De même le frère, Rémy Ervel, qui au départ se voyait accoler un tas d’épithètes peu flatteuses dont « terne », « c... », « sinistre » étaient les plus mesurées, fut brutalement promu au rang de garçon très fin, discret, charmant et capable d’être très drôle, qui gagne beaucoup à être connu.

La bizarrerie de ce retournement de situation est qu’il nous nuisit, à ma sœur Alice et à moi. Notre présence n’avait cependant rien d’embarrassant pour les Gros puisque nous ne nous autorisions jamais à sonner chez eux et qu’ainsi ils pouvaient espacer ou cesser nos relations à volonté en s’abstenant simplement de venir nous voir. Or non seulement il fut clair à partir de la mi-décembre que Gilles n’éprouvait plus que du déplaisir à nous rencontrer, mais encore au lieu de rompre de lui-même, il fit tout pour que les choses devinssent impossibles entre nous.

Quinze jours à peine avant les premier signes de notre disgrâce, Gilles m’avait solennellement assuré une fois de plus qu’il me tenait pour son « meilleur ami », que désormais et pour la première fois il avait « un ami en Faculté » et que notre amitié était faite pour défier le cours des années. Je n’en réclamais pas tant ; ces démonstrations chaleureuses avaient pour moi quelque chose d’outré, et il m'était difficile d'y répondre par des protestations aussi vives ; je ne plaçais pas Gilles, loin de là, en première place de mes amitiés et, faute d’affinités fondées sur des similitudes de caractère ou de goûts, nos relations ne me paraissaient pas destinées à sortir du domaine d'une bonne camaraderie.

Je me rappelle la scène comme si elle datait d’hier : Gilles sur le palier, devant la porte d’entrée de l’appartement de ses parents, m’assaillant de ses serments d’affection et d’estime ; moi en contrebas, déjà engagé dans l’escalier, balbutiant des remerciements pour les compliments qu’il me décernait. Ma défaveur, pour ne pas dire la roche Tarpéienne attenante à ce Capitole d'amitié fanfaronne, était imminente… Inconséquence ou malignité ? J’opte pour la seconde explication qui ne fait que confirmer la mauvaise habitude qu’avait Gilles Gros, dans les grandes occasions, de faire coïncider ronds de jambe – pour le cas où il lui serait nécessaire de faire machine arrière – et croche-pied...

Cette tortueuse stratégie atteignit son paroxysme lors de la réception à laquelle Alice et moi fûmes conviés en janvier suivant pour tirer les rois dans l’appartement des Gros. Le frère et la sœur Ervel étaient également de la fête. Pendant deux heures, pas une fois, hormis un bonjour distrait, Gilles ne me fit l’aumône d’une parole. Il couvait en revanche Rémy Ervel de prévenances, riait à gorge déployée de ses moindres ébauches de plaisanterie, le flattait suivant le principe d’enrobement qui formait le fond de sa tactique de séduction à l’endroit de sa sœur Denise. Alice fut traitée à peu près comme je l’étais, à cette différence près qu’elle avait droit, elle, à la conversation insistante et allusive de Patrick.

Et pourtant, le soin et l’invention que Gilles avait mis à ourdir son piège ne lui apportèrent pas le succès qu’il escomptait de cet après-midi mondain.

Depuis quelques temps il tâchait, sous couleur de copinage sans arrière-pensée, de s’octroyer progressivement les privautés qui le mèneraient à renverser les ultimes défenses de l’honnête Denise. Les cours particuliers de droit servaient à cela ; il en était revenu une fois, exhibant avec fierté une jarretelle qu’il avait par jeu dérobée à la demoiselle. Il attendait beaucoup de la galette des rois et du cérémonial qui l’accompagne, pour remporter une nouvelle victoire sur la pudeur de Denise ; et certainement notre présence, à Alice et à moi, n’avait-elle d’autre raison que de fournir un décor de bon aloi aux assauts du galant : il ne fallait pas effaroucher la jeune fille qui n’avait rien d’une polissonne ; elle ne devait pas subodorer les intentions de son suborneur dont elle aurait eu à se méfier si l’invitation s’était circonscrite à un cadre trop intime. Le plan de Gilles, à l’image de son auteur, brillait par sa simplicité tout ensemble primaire et désinvolte. Il s’arrangerait pour que Denise ait la fève et, en la couronnant reine, l’inviterait à se choisir un roi. Il ne doutait pas que la belle jetât alors son dévolu sur lui puisqu’il était, de toute la société, le seul élément masculin qu’elle connût vraiment, à l'exception de son frère Rémy. Fort de leur élection commune, il pourrait lui arracher le baiser traditionnel du sacre royal. À partir de là, s’insinuer par des taquineries dans la familiarité de sa reine serait pour lui un jeu d’enfant. Denise distinguée par le sort, Gilles n’aurait plus, pour la flatter, qu’à en faire le point de mire de la réunion avant d'enlever, en la pressant d'agaceries et de prévenances, les derniers bastions de sa pruderie. Telles étaient les intentions de l'adroit Gilles Gros.

(à suivre)

samedi 13 octobre 2012

La Famille Gros (suite n°II)

 

Comme leur père, Gilles et Patrick étaient gaullistes sans restriction, par respect de l’homme en place. Mais leurs opinions, raidies peut-être par les excès soixante-huitards, les apparentaient bien davantage à l’extrême-droite qu’à un gaullisme dont le divorce avec la droite traditionnelle était consommé depuis l’enterrement de l’Algérie française. Les fils Gros, il faut le leur reconnaître, échappaient à la peur qui s'empara d'une partie de la bourgeoisie lorsque les émeutes estudiantines, au lieu de s’en tenir à quelques escarmouches avec la police parisienne, se généralisèrent par tout le pays. Le procureur général leur père, n’avait pas la même grandeur d’âme ; craignant un assaut des forces révolutionnaires mirmontoises dont la menace était pourtant fort improbable et surtout promise à l’échec, il avait fiévreusement installé au Palais de justice où il occupait un logement de fonctions une escouade de policiers chargée de veiller en permanence sur la sécurité du précieux bâtiment et de ses hôtes.

Les bourgeois installés, transis par le désordre ambiant, perdaient de vue que les jeunes gens exaltés, chevelus et barbus, qui dressaient des barricades et dépavaient la chaussée étaient leurs fils, naguère encore imberbes, élevés dans la facilité, le confort et l’indifférence. L'école de médiocrité égoïste où ils avaient formé leur progéniture aurait dû les rassurer sur l’efficacité et le courage des révolutionnaires de l’heure. La liaison intellectuels-travailleurs ne présentait, pour elle, guère plus de dangers ; les communistes historiques répugnaient à se reconnaître dans un élan de révolte qui s’était amorcé sans eux ; ils y trouvaient, levé sous la conduite d’une poignée d’idéologues hirsutes, mais toujours arrogant, le rebut jouisseur et indiscipliné d'une classe bourgeoise honnie.

Au retour des vacances d’été, particulièrement pluvieuses, la météorologie avait douché les enthousiasmes et ramené l’espérance d’un grand soir à un étiage plus raisonnable. Nous retrouvâmes Gilles et Patrick. Dans les semaines qui précédèrent la rentrée universitaire dont la date avait été retardée par le report des examens de juin à septembre ou octobre, nous reprîmes avec eux nos habitudes du printemps. Les frères Gros venaient nous chercher à la maison ou nous donnaient rendez-vous pour prendre un pot en notre compagnie ; par discrétion et compte tenu du rang de leur père, nous ne nous autorisions pas la réciproque et attendions donc qu'ils se manifestent auprès de nous.

Voulez-vous vous faire une juste idée de la bonne ou mauvaise tenue d’une personne de votre entourage ? De sa finesse ? Installez-la devant un écran et, du coin de l’œil, observez ses réactions : elles vous renseigneront très exactement sur son éducation et son degré d’instruction ; et, pour peu que le film s’y prête, vous aurez un aperçu des thèmes plus ou moins raffinés qui suscitent son amusement, voire son hilarité.

Eh bien, je fis cette expérience quand nous sortîmes une fois au cinéma avec les Gros. Nous avions été voir le film Les Canons de Navarone qui datait de quelques années et repassait à l’Alhambra de Mirmont avant les exclusivités de la  nouvelle saison.

Avec ce sans-gêne tapageur qui procédait de la haute opinion qu’ils avaient de leur supériorité native, Gilles et Patrick ne concevaient pas de se conduire avec tact et modestie pendant un spectacle ; il fallait que leur voisinage profite de la moindre de leurs impressions ou s’amuse de leurs saillies dont eux-mêmes étaient les tout premiers à savourer le sel. Les fils Gros furent comblés par la vision de ce film, qui, si j'en ai gardé un juste souvenir, ne se détachait pas de la moyenne des superproductions héroïco-guerrières couramment réalisées à l’époque. Mais l’épisode de l'histoire que Gilles apprécia le plus fut une tirade dont toutes les propositions étaient ponctuées par la locution « ce (cette, ces) putain(s) de… ». « Et alors, quand nous approchâmes de ces p… de canons pointés sur cette p… de falaise avec ces p… d’obus qui menaçaient notre p… de sous-marin etc. ». Il y en avait au bas mot pour une bonne minute d’éloquence, carrée entièrement sur ce procédé. Gilles, envahi d'une joie irrépressible, s'étranglait de rire dans son siège, pouffant et hurlant à chaque nouveau p… qui venait émailler cet inénarrable discours. On mesurera d'autant mieux la force d'une aussi franche exultation, si l'on sait que Gilles dont la liesse "bon public" s’épanchait avec si peu de retenue, avait déjà assisté à une séance du même film dans les jours qui précédaient, et qu’il dégustait par conséquent pour la deuxième fois ce succulent morceau de bravoure resté grâce à lui définitivement gravé dans ma mémoire. Moins par prosélytisme de cinéphile que pour profiter d’un havre discret propice à d’amoureux desseins, il avait en effet une semaine plus tôt entraîné à ce spectacle martial la charmante Marie-Sophie Michalon à laquelle un tendre intérêt le liait alors.

Pendant le dernier trimestre de l’année 1968, Gilles fut surtout attentif à ses affaires de cœur. Il était très épris de Marie-Sophie Michalon. Celle-ci était la fille d’un ancien conseiller à la Cour d’appel de Mirmont qui, nommé en avancement à la Cour d’appel d’Ambieux un an ou deux auparavant, avait jusque là différé de déplacer les siens sur le lieu de sa nouvelle affectation. C’est justement à cette époque, en septembre 1968, que le foyer du président Michalon quitta Mirmont pour rallier la nouvelle destination paternelle. Gilles fréquentait Marie-Sophie depuis plusieurs mois et prévoyait de l’épouser. Lorsqu’elle partit il écrivit plusieurs lettres expédiées à l’adresse de la pension où la jeune fille suivait sa scolarité mais n’obtint aucune nouvelle en retour. L'objet aimé ne répondait pas. Il voulut se persuader au début que sa correspondance avait été interceptée par Madame Michalon, la mère, et que le silence de Marie-Sophie avait pour cause l’impossibilité où se trouvait la pauvre enfant, en l’absence d’un argent de poche suffisant, d’acheter des timbres et une enveloppe qui lui eussent permis de rassurer son soupirant sur la constance des sentiments qu’elle lui portait... L'épilogue fut tout autre. Je crois me souvenir que Marie-Sophie finit par sortir de sa réserve ; elle se procura les moyens nécessaires pour écrire une missive à Gilles dans laquelle, sans prétendre le ménager, elle lui signifia son congé de manière littérale. [Nous retrouverons les amours de Gilles et de Marie-Sophie plus amplement évoquées dans : La famille Michalon]

(à suivre)

 

samedi 6 octobre 2012

La Famille Gros (suite n°I)

Mais revenons-en à Gilles et Patrick Gros ; ils étaient les fils du procureur général de Mirmont dont mon père était un collègue proche ; je n’eus de relations régulières avec eux que pendant l’année 1968 et fort peu ensuite. Ma sœur Alice était entrée en contact avec Patrick à l’occasion des épreuves du bac qu’ils avaient passées ensemble en 1967. Leur camaraderie fut de courte durée à ce moment-là car le nouveau bachelier se mit rapidement en tête de conquérir la jeune lauréate. Ses manœuvres se soldèrent par une claque qu’il essuya pendant une séance de cinéma pour avoir essayé de l’embrasser à la faveur de l’obscurité. Grandement dépité, Patrick alla confier son désarroi à sa maman qui ne put mieux faire, je suppose, que d’inviter son grand fils à modérer désormais ses ardeurs et à se montrer plus circonspect avec les jeunes filles.

Pendant les grandes vacances qui suivirent, Patrick envoya plusieurs lettres ou cartes postales à Alice sur lesquelles il recopiait en guise d’épanchements sentimentaux des poèmes piochés dans le Lagarde et Michard dont il avait gardé le volume du XIXe siècle en souvenir de ses récents exploits scolaires. Les élégies les plus sensibles de Victor Hugo, de Musset, Vigny et consorts y passèrent. Mais les rapports entre l’auteur de ces missives enflammées et leur gracieuse dédicataire se gâtèrent définitivement quand, dans les premiers mois de ses études de chimie-biologie à la Faculté de Mirmont, Alice fit la connaissance d’un étudiant, René, à qui elle devait bientôt vouer une préférence ostensible. Jamais en effet Patrick et Gilles, ce dernier par sympathie pour son frère, ne purent supporter la vue du trop heureux rival.

Patrick, il faut le dire, n’avait rien d’un séducteur. Il était rond, le crâne dégarni par une calvitie précoce, le faciès rebondi, luisant comme une boule de billard et facilement perlé de sueur. Quand il s’esclaffait, il poussait un petit rire aigu. Il n’avait à son actif aucun don d’intelligence ou d’esprit qui lui permît de combler, par un talent un tant soit peu remarquable, l’insuffisance de ses attraits physiques. Indépendamment du retard qu’il avait pris dans ses études, il paraissait tellement vieux pour son âge que ses condisciples de première année de pharmacie crurent voir en lui, à la rentrée d’octobre, un assistant ou un professeur déjà rassis. C’était, pour le définir brièvement, un garçon indolent, terne et, au moral, un égoïste plutôt inoffensif.

Plus intéressante, plus détestable aussi, était la personnalité de Gilles. Le seul aspect attachant de cette âme trompeuse, tenait à la sollicitude dont il entourait son frère Patrick. Les deux garçons se séparaient rarement et Gilles prenait toujours garde à ce que Patrick ne se sentît jamais inférieur à lui, et qu’aucune réflexion ou plaisanterie ne vînt le blesser ou susciter le rire à ses dépens. Cette surveillance que le cadet exerçait discrètement sur l’aîné, moins vif et moins délié que lui, prenait le tour d’une vigilance zélée qui reste ce que j’ai vu  de plus saillant en matière d’entente fraternelle - un registre après tout pas si courant ; peut-être aussi parce que l’amitié que Gilles portait à son frère paraissait si isolée des autres traits de sa personnalité, malveillante et rusée, que ce contraste lui donnait l’apparence d’un mérite exceptionnel… Il est vrai qu’elle procédait d’un esprit de communion familiale où l’ascendance bretonne conjuguait à la fierté héréditaire du clan le culte unique des valeurs protectionnistes de la lignée Gros...

Dans cette optique, Gilles et Patrick n’étaient jamais à court de dithyrambes pour vanter les hauts faits de leur sœur aînée dont l’humeur trépidante et le langage très dru satisfaisaient pleinement leur besoin d’admiration mutuelle. Ils citaient avec gourmandise les répliques et les postures viriles de cette walkyrie du pays armoricain. Ils n'étaient pas moins entichés des prouesses de leurs neveux qui, à les entendre, cumulaient en roueries et en grossièreté toute l'inventivité qu’une mauvaise éducation peut insuffler à de jeunes garçons. Et leur estime allait jusqu’à leur beau-frère qui semblait pourtant cantonné au rôle plus effacé d’adulateur docile de la tribu Gros. Cet esprit de coterie, relevé de vagues songeries sur l’indépendance de la « petite Bretagne » comme on l’appelait jadis, secrétait chez les Gros une unité familiale dont les horizons les plus lointains les protégeaient du vertige de l’infiniment grand et se renfermaient définitivement dans les limites côtières du Finistère.

La stature de Gilles était tout autre que celle de Patrick. Sec, de taille moyenne, légèrement bègue, Gilles était vif et, sans sortir d’une tonalité facile, drôle s'il s’en donnait la peine. Ses grimaces et les rosseries empoisonnées dont il gratifiait les absents suscitaient les rires. Il soulignait de ses yeux écarquillés et de ses oreilles décollées des mimiques qui ne demandaient qu’à faire mouche, pourvu qu’il ne les répétât pas trop. Sans doute lui manquait-il, pour dépasser le comique de la corpo étudiante et de la cantine universitaire, une finesse dont sa souche celtique ne semblait guère l’avoir pourvu. Fermé aux émotions artistiques et aux tourments spirituels, il avait pour lui une intelligence critique aiguë. Encore cette pente à critiquer, comme il arrive chez les personnes dont l’esprit n’a reçu qu’un vernis de culture, était-elle plus acérée que réellement pertinente ; la justesse de l’observation s’y effaçait souvent derrière le plaisir de dénigrer, parfois par simple moquerie, parfois pour étancher un fiel personnel. C’est ce fond médisant, voire teinté de rancune, mais allègre dans son expression, qui donnait à ses propos un tour enjoué et pétillant d’où sortait le meilleur de son humour.

Autant Gilles débridait sa verve délatrice dans l’intimité, autant il était prudent, acquiesçant, cauteleux et réservé dans ses opinions quand il avait à faire à une autorité supérieure ou à un égal susceptible de lui rendre occasionnellement service.

Je commençai à fréquenter les Gros à la fin du mois d’avril 1968. À la suite d’une saute d’humeur dont ils étaient coutumiers, ils avaient un beau jour sonné chez nous pour renouer avec ma sœur Alice et nous emmener à la foire-exposition qui occupait l’esplanade boisée de Mirmont, en face de la gare. Dans la foulée intervenaient les évènements de Mai. La liberté que nous devions aux grèves à répétition nous permit de nous retrouver régulièrement à la maison ou dans les cafés de la ville. À défaut d’une ouverture au dialogue dont on a prétendu abusivement qu’elle aurait marqué cette époque bénie, les sujets de discussion ne manquaient pas en mai. Nous goûtions avec les Gros le réconfort de respirer à l'écart du lycée et du campus universitaire où les contestataires régnaient sans partage, exerçant le monopole des remontrances, des semonces et des invectives et poursuivant d’une manière systématique l’incrimination de tout ce qui n’adhérait pas étroitement à l’argumentaire bolcho.

(à suivre)

 

 

 

 

 

 

dimanche 23 septembre 2012

La Famille Gros

Samedi dernier s’est déroulé le mariage Gros. Gilles épousait Marie-Pascale Lambert, fille d’un militaire rendu à la vie civile après la guerre d’Algérie dont il n’a pas accepté l'épilogue. Marie-Pascale est une fille décidée, énergique, à la voix forte et grave, longtemps militante acharnée de la Fédération Nationale des Etudiants Français (F.N.E.F.) classée à droite dans le monde étudiant. Elle a arrêté le droit après avoir raté sa deuxième année de licence et depuis n’a pas repris d’études. Elle et Gilles se sont rencontrés au cours d’une soirée dansante avant de se fréquenter principalement dans le cadre de la Faculté. À l’époque où il n’était pas question de sentiments entre eux, Gilles ne tarissait pas de plaisanteries sur elle : « Hier Patrick et moi, nous avons accompagné Marie-Pascale à la réception que donnaient les Dumont. Nous l’avons fait danser chacun notre tour. Avec une cavalière de ce calibre, je vais te dire : on n’est pas trop de deux ! » Allusion à la constitution solide de la jeune fille. Gilles colportait avec satisfaction les mauvaises notes de celle-ci, qu’il assortissait de commentaires pointilleux : « Ça ne m’étonne pas. Marie-Pascale n’est ab-so-lu-ment pas faite pour le droit. Elle n’a pas la tournure d’esprit qui convient ! » C’était finalement la traiter de sotte et Gilles qui n’imaginait pas de société plus évoluée sur terre que la gent juridique dont il se promettait d’être le fleuron, était bien le dernier à s’abuser sur la portée des appréciations défavorables dont il l’honorait.

Il y avait quelques années de cela [voir plus haut « Monsieur Bouin »] Marie-Pascale qui était encore étudiante à la Faculté de Mirmont s’était targuée auprès de Florentin d’avoir perdu un enfant ou, je ne sais plus bien, d’en avoir eu un mort-né. Elle prétendait à cause de cela être dans le trentième dessous… Etonnés de ces confidences, et doutant de leur véracité, nous avions été nous renseigner auprès de Gilles en personne qui, sans avoir à cette époque d’intimité marquée avec Marie-Pascale, la comptait tout de même parmi ses bonnes relations étudiantes. Lui, courtisait avec plus ou moins de bonheur une étudiante de la Faculté de lettres, une blonde aux cheveux longs qui, pour le peu que je l’aperçus, et de loin, avait l’air plutôt jolie. « Non, cette histoire est très possible » nous répondit Gilles du ton sentencieux qu’il adoptait pour les sujets sérieux ou simplement délicats depuis qu’il s’était mis à donner des cours de droit à l’Ecole de Commerce qui jouxtait le campus. Il avait entendu une fois Marie-Pascale lancer « Bonjour mon ex-mari ! » à un garçon qu’elle croisait dans un couloir de la Faculté – et cette apostrophe lui semblait faire la preuve des déboires maternels dont se plaignait aujourd’hui l'intéressée.

Après avoir consulté l’oracle, nous n’étions guère plus avancés dans notre enquête ; si ce n’est que, pour répandre sur elle-même des contes scabreux, Mademoiselle Lambert, qu’elle fût sincère ou qu’elle voulût mystifier son entourage, justifiait le diagnostic très circonspect que nous posions sur ses ressources d’équilibre. D’ailleurs, si son autorité, si la force de ses convictions politiques et son verbe assuré, semblaient les atouts d’une personnalité solide et résistante, il lui arrivait dans certaines circonstances de se livrer à des démonstrations de nervosité qui trahissaient une nature beaucoup plus fragile. Ainsi était-elle célèbre à la Faculté pour ses crises de larmes et ses accès de désespoir lorsqu’elle passait ses examens oraux.

La dernière fois que je la vis avant son mariage avec Gilles, c’était précisément à l’occasion de la session de rattrapage d’octobre 1970. Pour qu’elle fût moins impressionnée, son frère était venu lui tenir compagnie tandis qu’elle attendait d’être appelée par l’examinateur devant qui elle allait plancher. Gilles rôdait dans les parages sans que je pusse constater que ses liens avec la malheureuse candidate avaient changé de registre. Trois mois plus tard j’apprenais, non sans surprise, leurs fiançailles.

La seule chose qui mérite d’être rapportée au sujet de la famille de Marie-Pascale est la liaison que sa respectable mère, Madame Lambert, entretenait au vu et au su des bonnes bonnes âmes de Mirmont avec un ancien professeur de lettres du lycée Boileau, du nom de Loupiac, réputé pour sa grande dureté envers ses élèves et ses opinions royalistes ultramontaines, déjà rares à l’époque. Des yeux très déficients l’avaient forcé, avant l’âge de la retraite, à interrompre ses activités d’enseignant. Souvent convié à partager les repas du ménage Lambert, il avait fait la connaissance de l’épouse dans les chœurs de l’Eglise Sainte Cécile ; la rumeur publique lui reprochait une forme de galanterie un peu surannée, qui répondait peut-être simplement au besoin qu'il avait de se ménager un appui pour suppléer sa vision très basse, moyennant quoi il donnait le bras à sa collègue de chorale lorsqu’ils revenaient ensemble de leurs répétitions de chant. Le quartier Sainte Cécile, avec la bienveillance qui caractérise la curiosité publique, en avait déduit qu’il existait entre eux un commerce adultère. Monsieur Loupiac n’en était pas moins présent au mariage de Marie-Pascale et de Gilles auquel on le vit s’associer sans souci du qu’en-dira-t-on.

(à suivre)

jeudi 23 août 2012

Un Maître en littérature (1973)

 

Max-Pol Fouchet tient actuellement le rôle de grand oracle des lettres françaises à la radio et à la télévision. Avec son minois épanoui de vieux bébé farceur, ses mots d’esprit forgés à l’avance et son aura d’homme de tous les progrès, (l’un de ses reportages qui traite favorablement de Cuba vient d’être interdit d’antenne) Max-Pol, comme l’appellent les initiés, intervient chaque semaine sur le petit écran pour y exprimer des opinions bien senties et toujours opportunes sur la littérature de son temps.

Son éclectisme lui permet de conseiller aux auditeurs, comme une perle de la meilleure eau, la lecture des Pensées de son ami Pierre Dac, récemment réunies en recueil. Mis à part quelques aphorismes savoureux, tirés de L’Os à Moelle et par conséquent déjà connus de tous, l’essentiel de la brochure se compose d’à-peu-près fabriqués à la chaîne, dans le genre (j’improvise :) « Quand on frappe les trois coups, c’est rarement pour enfoncer le clou du spectacle » ; s’y ajoutent quelques variations sur des thèmes déjà défrichés par les humoristes célèbres, l’essentiel de l’ouvrage tenant dans des réflexions et  maximes que Pierre Dac, lorsque leur banalité le laisse insatisfait, conclut par la locution « et inversement » ou « et vice versa », voire par un « poil au… » complété par un mot trivial choisi en assonance avec la fin de la phrase. Tout récemment, l’auteur, interrogé sur ce recueil, déclarait avec modestie : « Il m’a fallu faire un choix car j’ai encore dans mes tiroirs des centaines d’autres pensées. » Grâce !

Mais Max-Pol Fouchet, loin de s’effaroucher de l’improvisation commerciale d’où procède le florilège des saillies drolatiques de Pierre Dac, y discerne au contraire l’ascèse d’un grand écrivain qui « a le courage de ne pas se prendre au sérieux ». Or peut-être devrait-on préférer à cet art de la dérision qui s’exerce surtout aux dépens du lecteur, lésé dans son attente d’un ouvrage de qualité, le sérieux d’un humoriste dont l’amour propre s’attacherait à la valeur de sa production… Mais ce genre de considération n’a pas place dans la souple morale de Max-Pol.

Il y a peu je regardais la télévision ; Max-Pol Fouchet confiait au téléspectateur ses impressions sur un roman dernièrement paru, écrit par un espagnol. Il se trouvait justement que cet espagnol s’était battu au côté des brigades internationales et avait dû s’expatrier en France après la victoire du parti franquiste. Max-Pol brossa une rapide biographie de l’écrivain puis, en véritable analyste qu’il est, se lança dans la narration exhaustive de l’intrigue : un jeune homme arrive en France, il y prend une maîtresse, il la quitte, il voyage, il revient, il la retrouve. À la fin, il embarque sur un paquebot « où un steward tient la place un peu symbolique du destin et se conduit d’une façon très étrange », et change de maîtresse… Je ne sais plus si le bateau coulait alors ou arrivait à destination mais cette dernière péripétie n’avait finalement pas grande importance. Satisfait de son rapport, Max-Pol termina en ces termes : « Vous voyez que ce roman nous ménage des surprises, et après le résumé que je viens de vous en donner, je n’ai pas besoin d’attirer votre attention sur son originalité. J’ai beaucoup aimé cette œuvre. Pourtant je ne parlerai pas de "chef d’œuvre". Non… Je ne sais pas exactement pour quelle raison, mais je ne crois pas que ******* soit un chef d’œuvre. En tout cas c’est un très beau roman et à notre époque ce n’est déjà pas si mal. » (Sourire fin et heureux.)

Pour moi je ne pense pas que ce commentaire littéraire efface de la mémoire des amateurs le souvenir des Lundis et Nouveaux Lundis de Sainte Beuve ; il a du moins l'utilité de nous renseigner sur les qualités d'analyse du grand critique dont il émane.

Max-Pol Fouchet sévit à un rythme hebdomadaire à la télévision dans l’émission Italiques, en compagnie d’autres critiques, écrivains et biographes. « Chacune de ses interventions, proclame un journal enthousiaste, constitue à elle seule un véritable enseignement sur l’histoire de la littérature. » Le présentateur est un type élégant, content de lui, qui manifestement ne connaît pas grand chose aux sujets dont il anime le débat. Pour masquer son ignorance, il adopte le ton railleur et brutal qui fait flores depuis peu à la télévision. Hissant l’absence de tact au niveau d’une spécialité virtuose, il interrompt sans ménagement ses invités pour leur signifier qu’ils ont dépassé leur temps de parole ou les informer que leurs propos, à partir d’un certain stade, n’intéressent plus personne. Echappent bien sûr à la rudesse de cette franchise les gloires habituellement célébrées par les media, parmi lesquelles le débonnaire Max-Pol.

(à suivre)

Un Maître en littérature (suite)

Dans le cadre de la critique télévisuelle où l’intelligence, au mieux, se confond avec le besoin instinctif de se mettre en avant, et où les comptes-rendus de lecture se noient dans la paraphrase, l’étalage des sentiments personnels et les procès d’intentions, Max-Pol Fouchet est à son article. Il trône comme un Bouddha juvénile et mafflu, la bille épanouie, prudhommesque ou bel esprit suivant les circonstances.

 J’ai en mémoire une émission qui traitait de Victor Hugo, écrivain comique. Les hautes considérations pleuvaient ; la question fondamentale qui tracassait ces messieurs était de savoir si le génie des Contemplations se doublait, comme on l’a prétendu souvent, d’une ganache sotte et pontifiante. Eux se faisaient fort d’apporter la preuve contraire et de laver ainsi, plutôt que le poète – car qu’ont de commun la poésie et l’intelligence ? –, le champion des causes républicaines du soupçon de bêtise qui souille parfois sa réputation. Ils s’étaient donc mis en tête d’établir que le vainqueur d’Hernani, loin de l’image d’un titan ingénu forgée par la légende, possédait un sens de l’humour raffiné ; que sa fantaisie, parfois teintée d’irrespect, démentait l’attitude gourmée et puérilement égocentrique dans laquelle la postérité l’avait injustement figé. Ce parti-pris suivant lequel Hugo aurait eu la veine boulevardière ne manquait pas de sel de la part de lettrés qui se font couramment gloire de dédaigner les mots des vaudevillistes, les facéties, calembours, rébus et autres jeux d’esprit gratuits risqués par les auteurs légers.

L’un des spécialistes de l’hilarité hugolienne vanta alors, comme un écrit qu'il aurait eu le mérite d'exhumer, le poème bien connu dans lequel un ogre, lassé d’attendre une fée, mange son petit garçon, autrement dit « croque le marmot ». La pièce fut lue par une jeune fille qui devait être fraîche émoulue du conservatoire national d’art dramatique et en rajoutait un peu trop en finesse sur les intentions du texte, avec force moues entendues et une volonté de bien faire plus qu'évidente. Le moindre des effets comiques, dûment souligné par la lectrice, excitait les rires charmés et approbateurs de l’assistance. La chute finale – il ne faut pas laisser les ogres croquer le marmot… – déchaîna une gaîté ravie et surprise. Qui aurait pu dire si ces auditeurs de choix étaient réellement étonnés à l’écoute d’une pièce reproduite par toutes les anthologies de l’humour français, dont ils n'auraient cependant jamais entendu parler, ou s’ils feignaient seulement de la découvrir ?…

Quand le silence se rétablit, plus personne n’avait grand-chose à ajouter. C’est ce moment que choisit la jeune comédienne, flattée du succès qu’elle venait de s’attirer et désireuse d’apporter sa contribution à la louange du poème hugolien, pour constater « c’est plein d’humour ! » avec une conviction inopinée qui laissait supposer qu’elle en doutait jusque-là.

Un second hugolâtre se manifesta alors ; un universitaire. Il demanda la permission, qui lui fut volontiers accordée, de  raconter une anecdote très révélatrice du tempérament comique du poète :

– Un jour Victor Hugo se trouvait à l’Opéra ; il participait à une soirée officielle qui lui paraissait guindée. Il s’y ennuyait. Voilà qu’il fait la connaissance d’un diplomate originaire d’Europe centrale, qu’on lui présente comme étant : Monsieur Kislève. « Je préfère Madame Qui-s’couche » répond Hugo du tac au tac.

Des exclamations joyeuses saluèrent cette ingénieuse répartie et on put alors admirer Max-Pol Fouchet, cet honneur des lettres françaises, abandonné à une inextinguible hilarité, comme si on lui avait cité l’à-peu-près « comment vas-tu Yau de poêle ? » en lui certifiant que Marcel Proust en était l'auteur.

Car pour Max-Pol et sa cohorte de thuriféraires, le snobisme est une sauce qui dispense de s’interroger sur les mets qu’on vous sert.

mardi 21 août 2012

L'Angoisse des "Trentes Glorieuses"

 Le bourrage de crâne à la mode consiste à persuader les étudiants qu’une fois sortis de l’Université il ne leur restera plus qu’à émarger au budget de l’Agence nationale pour l’emploi. Chaque semaine la presse hebdomadaire, friande d’une sociologie sensationnelle et dramatique, cite le cas d’un agrégé de philosophie obligé de postuler un simple emploi d’agent administratif, d’un polytechnicien tirant sa subsistance du Secours Catholique, d’un expert-comptable ou d’un notaire réduit à vendre des colifichets à la sauvette ou à « faire la manche », et tous autres exemples qui prouvent que les niveaux d’étude et qualifications professionnelles, même dans des secteurs jadis préservés, n’offrent plus aujourd’hui que des valeurs périmées sur un marché du travail exsangue.

À la faculté de droit de Mirmont le grand thème de récrimination, qui ressort chaque fois que le besoin se fait sentir de stimuler les forces du désordre, est le suivant : les crédits alloués sont insuffisants ; les examens seront invalidés en raison de l’absence de bons enseignants ; les diplômes seront sous-cotés parce que, vous le pensez bien, ils savent, eux, dans le secteur privé que…

Voilà trois ans que de pareilles doléances sont régulièrement proposées aux étudiants, avec grève universitaire à l’appui et cortège de rue pour expliquer les problèmes à la population et tenter de l’émouvoir sur le sort de ses élites. À chaque fois les revendications avortent auprès du rectorat, et la Faculté de Mirmont, comme un bateau ivre devenu le jouet des éléments déchaînés, continue sa course chancelante dans les bourrasques.

À Mirmont la cessation du travail par les étudiants et la paralysie des activités universitaires exercent sur les autorités administratives ou politiques une pression à peu près égale à celle que provoquerait une grève de la faim… d’où leur fortune très variable. Dans l’un et l’autre cas, le succès des réclamations formulées dépend moins des insurgés, et de leur détermination, que de la faiblesse, voire de la complaisance des institutions prises à partie

En cette année 1973, au début du mois de janvier, le jour même de la rentrée, la section de Sciences économiques répandait la nouvelle que la Faculté de droit ne pourrait tourner pendant une période supérieure à deux mois et que les examens passés dans ses murs seraient désavoués à l’échelon national. Il se trouvait des naïfs pour colporter ces bruits et y croire…

L’un d’eux à qui l’on apprenait que la licence en droit dans les années qui viennent ne compterait plus que trois années au lieu de quatre, eut instantanément ce cri du cœur :

– Trois ans ! Mais alors la nôtre va être dévaluée !

L’habitude.

jeudi 16 août 2012

La Somme ecaudienne

Gérard Écaude :

 

Mon ancien condisciple Jean Chamboulive, apprenant que j’avais couché sur le papier quelques souvenirs de nos années de lycée, a eu l'amabilité de me remettre des extraits de la Geste Écaudienne qu’il avait écrite pendant nos années communes de quatrième et de troisième à Boileau.

Quelques mots sur Chamboulive (bien que nous n’ayons jamais été à proprement parler des amis mais seulement des camarades).

L’auteur de la Geste Écaudienne était un garçon souvent imprévisible ; il donnait l’impression d’évoluer dans un monde un peu parallèle qui se serait trouvé hors d’atteinte des règles conventionnelles du lycée dont tous ses efforts tendaient en apparence à le démarquer. Au gré de ses inspirations, et généralement à rebours de ce qu’on attendait de lui, il hésitait entre deux attitudes opposées ; ou bien se mettre en avant pendant un cours avec une insistance intempestive, ou bien se faire oublier quand notre participation active était au contraire sollicitée. Un dérivé d’orgueil et de conscience critique de soi, le poussait à dédaigner toute collectivité à laquelle il appartenait, pour cela même qu’il en faisait partie. Son goût de l’indépendance joint à une tournure d’esprit plutôt conservatrice lui donnait une personnalité difficile à saisir, qui devait le désarçonner lui-même, comme nos maîtres dont il avait à subir l’autorité.

 J’aurai plusieurs écrits de Chamboulive à insérer dans mes chroniques mirmontoises.

La Geste Écaudienne empruntait son nom à notre premier de classe, Gérard Écaude, dont la réussite constante et indiscutée entre la sixième et la troisième avait fini par produire chez la plupart de ses camarades une réaction d’agacement fataliste. Écaude triomphait à chaque composition. Les interrogations de toutes sortes auxquelles, nous autres, n’obtenions que des résultats irréguliers et toujours aléatoires, étaient pour lui autant d’occasions de dominer le classement. Sa supériorité connaissait cependant une limite : les cours d’éducation physique dont les trophées tombaient en d’autres mains. Mais ses parents avaient obtenu de l’en faire dispenser, non que sa santé fût trop fragile mais parce qu’ils pensaient que leur fils gagnerait davantage à pouvoir consacrer les heures de gymnastique et de plein air à l’étude des matières intellectuelles et que sa moyenne serait d'autant meilleure qu’il n’aurait pas à y inclure les notes des disciplines sportives dont le niveau, dans son cas, avait peu de chance de dépasser la mention « passable ».

Écaude était le fils unique de parents déjà âgés ; sa mère tenait au lycée le secrétariat du censeur et le mari enseignait la physique-chimie dans un autre établissement de la ville. Notre camarade offrait tous les stigmates de l’enfant délicat, couvé par un ménage timoré et méticuleux. Potelé, il portait la plupart du temps un manteau matelassé et rebondi dont on sentait qu’il recouvrait une épaisseur de deux ou trois pull-overs enfilés les uns sur les autres. Une volumineuse écharpe venait compléter ce blindage vestimentaire qui le faisait ressembler à un tube de colle cylindrique entêté de son bouchon à vis. Écaude qui pour le fond n’était pas un méchant garçon avait tiré de la liste impressionnante de ses succès scolaires une fatuité heureuse qui lui suffisait à combler toutes les interrogations de la vie. Son énergie était d’ailleurs consacrée pour l’essentiel à ses études car sa suprématie dans les honneurs scolaires, si nul ne songeait à la lui discuter, prenait racine dans un comportement obéissant et besogneux beaucoup plus que dans des facilités d’intelligence dont il aurait été abondamment pourvu.

Tandis que ses camarades discutaient ou jouaient, l’élève Écaude révisait dans la cour de récréation. Il ne se passait pas une interrogation écrite qu’il n’annonçât, après avoir remis sa copie, que cette fois il avait complètement raté, qu’il était resté totalement sec, que sa note serait abominable... et il jouissait ensuite de l’étonnement qu’il croyait avoir provoqué lorsque le professeur, rendant les devoirs, le proclamait sans surprise le meilleure élève de la classe. D’une tenue exemplaire jusqu’à ce que retentît la sonnerie qui signalait la fin de l'heure de cours, Écaude n’en prenait pas moins sa part des accès de turbulence scolaire. Il était de ces élèves raisonnables qui sont toujours prêts dans les moments d’effervescence où la discipline du cours de relâche, à rire sous cape aux dépens du plus faible, qu’il s’agît d’un professeur débordé par un chahut collectif ou d’un cancre rudement moqué par la classe.

Telle était la psychologie, assurément courante, de Gérard Écaude. On aura déjà compris qu’en classe de quatrième, ce lycéen modèle poursuivait sa parabole laborieuse et infantile sans rien dénoter des approches de l’adolescence dont les premières manifestations influençaient déjà la sensibilité et l’esprit de bon nombre de ses camarades.

Chamboulive s’était donc lancé dans la rédaction d’une charge littéraire où il imaginait notre condisciple Écaude au siècle des lumières, et le dépeignait sous les traits du descendant d’une noble lignée, présomptueux et engoué d’Encyclopédie, qui finissait à la fleur de l’âge guillotiné sous la Terreur. Un dessin au stylo à plume signé « David » immortalisait le moment dramatique où le malheureux Gérard d’Écaude, le lointain ancêtre de notre camarade, était décapité en place de Grève sous les clameurs d’une foule de sans-culotte criant « À mort l’aristo ! » et brandissant des têtes sectionnées, fichées sommet d’une forêt de hautes piques. Cette gravure révolutionnaire fut confisquée par Monsieur Corbier pendant un de ses cours de français où elle passait de table en table, dissipant son auditoire ; elle tomba dans les cartons du professeur qui ne la rendit jamais à son auteur.

Comme Écaude avait fini par avoir vent de l’œuvre dont il était tout ensemble l’inspirateur et le personnage principal, il demanda à en prendre connaissance ; Chamboulive, libéral, lui prêta La Geste Écaudienne qui comportait déjà l’essentiel des différentes livraisons qu’il réunit dans sa version définitive. Flatté d’avoir été pris pour sujet d’un travail littéraire, quand même son contenu était satirique, Écaude le communiqua à ses parents qui, d’après ce qu’il rapporta ensuite à l’auteur, avaient beaucoup moins apprécié que lui la tonalité comique de l’ouvrage.

J’extrais de La Geste de Chamboulive la page qui suit : l’auteur y paye un juste tribut au manuel de littérature le Lagarde et Michard où toute une génération d’élèves dont nous étions, puisa ses références intellectuelles, et le plus souvent les clichés de son inculture littéraire.

 

(à suivre)

La Somme ecaudienne (suite)

Un passage du "LAGARDE ET MICHARD" :


 

 

 

                          UN JEUNE ÉCRIVAIN AMBITIEUX 

 


 

 

On oublie souvent qu'avant de mettre sa plume au service du surintendant Fouquet, Jean de La Fontaine, « le plus grand de nos fabulistes » selon l'heureuse expression d’Emile Faguet, chercha protection auprès de la puissante famille Écaude dont les descendants, un demi-siècle plus tard, en 1703, seront anoblis « par rescrit du Roy et lettres patentes du Garde des sceaux ». Le chancelier Gérard Écaude fut alors son mécène. Ce haut magistrat du royaume qui se piquait d'humanités et d'art, sut par des gratifications judicieuses stimuler la veine créatrice du jeune poète dont l'humeur était trop souvent nonchalante. Pour l'en remercier, La Fontaine lui dédiera sa fable bien connue "Le loup et le jambon" où il inscrivit en filigrane, comme un discret hommage, les prénom et nom de son bienfaiteur, que nous signalons ici par des caractères gras.

 

 

 

 

     Le loup et le jambon.

 

 

 

Certain jour, un loup claquedent

Qui cherchait d'aventure

Quelque accorte pâture

Pour soigner sa faim, en rôdant

Se fit l’hôte d'une chaumière.

Là, par grâce, au plafond,

Un plantureux jambon

Fleuronnait la poutre faîtière.

Le larron voudrait s'en saisir,

Escomptant de cet arrérage

Bonne prime et plein avantage.

Il est au point d'y réussir

Lorsque voici dans l'entrefaite,

Qu'armé d'un grand tison

Le maître de maison

S'invite impromptu à la fête.

Le loup doit céder du terrain

Son dos roussi le brûle ;

Il fléchit ; il recule

Et fuit, délaissant son larcin...

Dépité, la mine penaude,

L'animal conclut à regret,

Le poil ardemment élimé :

J'ai rare écot de ma maraude !

 

 

Moralité :

 

Sachons, grands ou petits,

Régler nos appétits

Pour les cas de disette autant que d'abondance.

— Cette leçon vaut bien un fromage, ma panse ?

 

lundi 13 août 2012

Le Mariage de Jacqueline (1974)

 

La cérémonie de mariage de Jacqueline à Coligny-sur-Drée s’est bien passée samedi. Evelyne un peu triste pendant la soirée, sans doute parce qu’elle regrette les bons moments partagés avec son amie Jacqueline dont le mariage, même si le mari est un garçon amical et ouvert, aura pour effet de les éloigner l’une de l’autre ; aussi parce qu’elle-même, à vingt-quatre ans, aimerait se marier, sans que l’occasion s’en soit encore présentée. Elle sent en elle des velléités de fantaisie que contrarie le pragmatisme insipide des gens installés, dont les soucis lui paraissent mesquins et prétentieux ; mais, tout en se jurant de ne jamais leur ressembler, elle rêve au fond de les imiter et de sortir du célibat. La liberté d'être soi-même, si précieuse à vingt ans, déroule devant elle, maintenant que les amis se dispersent et se marient, des perspectives moins riantes dont le champ se resserre avec les années… Bertrand est là, détendu, nageant dans cet optimisme intelligent et naturel dont il savoure les ressources inépuisables. Jean-Adrien très en forme. Il plaisante avec beaucoup d’entrain et même, le lendemain, pendant le retour en voiture, déploiera une verve que je ne lui soupçonnais pas.

Nous dansons, buvons, mangeons jusqu’à trois, quatre heures du matin… Après avoir consommé vins et champagne au buffet, Jean-Adrien suivi d’Evelyne s’est installé au bar du rez-de-chaussée où il a absorbé plusieurs whiskys ; il donne à partir de là des signes non équivoques d’ébriété. Je les rejoins avec Sophie, une étudiante en lettres qui était la voisine de chambre de Jacqueline à l’époque où celle-ci logeait dans les bâtiments de la cité universitaire. Nous retrouvons Bertrand qui est descendu peu avant rejoindre la joyeuse société, lui-même accompagné d’une étudiante en sciences économiques que je connais seulement sous le prénom de Julienne. Jean-Adrien arbore un sourire de vague satisfaction, le torse bombé, les jambes mal assurées ; il lance tout autour de lui des regards brumeux et conquérants et monopolise l’attention générale par son euphorie bavarde, teintée d’agressivité. Il salue notre arrivée en ces termes : « Ça marche pour toi, Louis ? », à la fois ironique et fat, à quoi je réponds brièvement par un « oui » de principe, car il courtise avec une audace d’homme éméché, qui ne trompe pas sur son degré de conscience, une jeune femme dont le mari est sensiblement dans le même état que lui. Elle se défend en riant.

Comme je lui fais remarquer qu’il a sans doute bien bu, il réplique qu’il se sent parfaitement bien et ajoute avec esprit qu’il ne m’interroge pas, lui, sur mes détournements de mineure, allusion à une adolescente de quatorze ans que j’avais invitée un peu plus tôt à danser devant un Jean-Adrien ouvertement goguenard. Déjà pendant la soirée ce thème de plaisanterie était revenu à plusieurs reprises dans sa bouche alors qu’il venait me prendre par le revers de mon veston pour le secouer de bas en haut en commençant généralement par : « Mais tiens-toi droit, Louis ! », symptôme qu’il avait légèrement dépassé la dose. Nous prenons tous un alcool et Jean-Adrien qui estime avoir sauvegardé sa lucidité commande un nouveau whisky. Il ne tarde pas à abandonner la jeune femme à qui il multipliait les avances et va s’attabler sans plus de transition au comptoir du bar auprès du mari pour qui il paraît éprouver une irrésistible amitié. Il reste là jusqu’à la fin de la soirée à comploter de façon décousue avec cette  nouvelle relation et avec le tenancier de l’établissement qui lui sert plusieurs verres jusqu’au moment où, l’heure tardive aidant, nous décidons de quitter les lieux.

Non sans difficulté j’entraîne dehors Jean-Adrien qui veut rester et nous assure qu’il regagnera par ses propres moyens l’appartement de sa sœur où lui, Bertrand, Evelyne et moi, logerons pour la nuit. Nous lui reprochons de vouloir nous lâcher, et lui promettons qu’avant de nous coucher nous avalerons un dernier whisky (en puisant dans la cave de son beau-frère, absent). Chose promise, chose due. Evelyne s’étant chargée de nous véhiculer, nous nous retrouvons peu après à siroter, dans le calme banlieusard de Coligny-sur-Drée, un ultime whisky de clôture.

C’est le moment que choisit Jean-Adrien pour révéler d’un air sombre et soudain découragé : « Eh bien mon pauvre Louis, on n’a pas pu avoir notre chance parmi tous ces pédés ! » Passé le succès d’hilarité de cette proclamation tout de même déconcertante, nous le prions de nous éclairer sur la présence de ces « pédés » dont le rassemblement nous avait échappé. Il s’en explique :

« Le patron !... Si je t’assure, il en est, cent pour cent. Il m’a dit des choses, mais… dégueulasses, tu ne peux pas imaginer. » [On n’a jamais pu savoir ce que recouvraient ces mystérieuses propositions.] Il n’a même pas voulu qu’on paye les consommations, tu as bien remarqué ! [Elles étaient comptées dans les frais du mariage.] Ce type-là, si on avait voulu, il aurait fait n’importe quoi, il se serait mis à genoux devant nous : le pédé intégral. Oui… c’était vraiment écœurant… Et le mari de l’amie de Jacqueline, oui, lui aussi ! C’était la même chose, si, si… (Sur un ton plus sinistre encore :) Il était d’accord avec le patron, ça se sentait. Ah, c’est le vrai dégueulasse celui-là… dégueulasse !… Tiens !... Il l’est aussi, j’en ai bien peur !… D’ailleurs, je dois te remercier, Louis, de m’avoir retiré de ce milieu, parce que c’était, mais alors là - vraiment - dégoûtant… »

Je doute que nous en sachions plus un jour sur le Coligny-sur-Drée secret dont Jean-Adrien nous aura permis –grâce à son don de double vue, à moins qu’il ne se soit contenté plus banalement de voir double – d’entrebâiller une porte dérobée.

vendredi 10 août 2012

Une Etudiante (suite)

Je reviens à la soirée donnée par Jean-Adrien dans la maison de ses parents dont il habitait une partie. C’était la première fois que je rencontrai Marianne. Le reste de la société était, au moment dont je parle, réuni à la cuisine où Jean-Adrien projetait sans doute avec Solange ces rendez-vous, démarches et invites pressantes qu’elle avait coutume, pour le tenir d'autant plus sous sa coupe, de lui imposer sur un mode impérieux, secret et compliqué ; Jacqueline, toujours active et curieuse, devait vaquer de son côté à quelque préparatif du repas. Tandis que les autres s’affairaient, Marianne et moi sirotions des apéritifs dans le bureau où les alcools étaient servis. Je revois la jeune fille, sa longue chevelure ensoleillée sur les épaules, un chemisier à petits carreaux dont la dominante était rouge, une jupe beige, un paletot vert, douce et vive comme elle était alors, délicatement posée dans l’encadrement d’un fauteuil Voltaire tandis que je la considérais depuis le canapé d’en face. L’atmosphère de ce début de soirée était des plus favorables à une discussion détendue, un peu paresseuse. Un morceau de jazz languide et mélancolique nous berçait, extrait de la discothèque de Jean-Adrien qui tirait gloire d’avoir été entendre deux ans plus tôt Ella Fitzgerald au grand théâtre de Mirmont où la chanteuse avait donné son récital devant une salle aux trois quarts vide. Le disque tournait dans le tiroir supérieur du meuble-écritoire dont la partie inférieure abritait les spiritueux. La lumière avait juste ce qu’il fallait de tonalité tamisée pour faciliter les échanges.

Nous avions déjà pris qui du porto, qui du whisky et nous ne savions pas grand-chose l’un de l’autre... J’écoutai celle qu’on m’avait présentée comme étant Marianne, une étudiante de troisième année de droit public, qui m’exposait les méfaits du colonialisme portugais sur lesquels elle venait de se pencher à l’occasion d’un dossier qu’elle avait dû constituer pour la Faculté, ce dont je me fichais pas mal… J’écoutais dans un état de léger engourdissement où les mots propagent leurs ondes propres qui n’ont rien à devoir à leur sens, tout au charme de l’instant et conquis par le tableau à peine réel d’une conférencière de vingt-deux ans expliquant avec une persuasion gracieuse et un rien de frivolité une question de politique internationale sur laquelle il était évident qu’elle n’avait aucune clarté personnelle. J’approuvai, sans prendre la peine de suivre l’enchaînement de ses propos, sensible au phrasé et à la gravité du timbre que relevait un léger chuintement qui constituait moins un défaut de prononciation qu’une inflexion discrètement expansive de la voix. Les modulations du morceau de jazz l’accompagnaient comme un contre-chant dont la musicalité l’emporterait finalement sur le motif de la mélodie principale. J’avais garde de ne pas briser l’harmonie fugace qui baignait cette démonstration superflue mais poétique de droit international public, immobilisée dans mon souvenir comme un bref aperçu d’éternité.

Oui, depuis cette soirée où nous avions fait connaissance, Marianne avait bien changé. Les mésaventures du colonialisme ne formaient plus son sujet de prédilection. Elle était maintenant attelée à une étude sur Les statuts de la Comédie française à laquelle elle accordait à son tour une importance cruciale ; je m’en étais étonné lorsqu’elle m’en parla pour la première fois ; j’avais cru comprendre que son travail portait sur la statuaire de la Comédie française et il me paraissait que le temple de l’art dramatique français ne présentait à ce titre aucun intérêt...

L’enthousiasme tourmenté de Marianne, alliage de difficultés personnelles et d’idées générales dont les premières déterminent les secondes, exige qu’elle ne soit contredite qu’avec douceur et encore, le moins possible. Parce que s’il est loisible de débattre avec une intelligence sans risquer d’y froisser des tissus trop sensibles, le cœur des autres, lui, ne se prête pas au débat – et c’est bien de lui en l’espèce qu’il s’agit !

 

[Marianne peu après fit la connaissance d’un jeune médecin qui terminait son internat à Mirmont ; elle l’épousa dans les mois qui suivirent. Il ne fut plus question de « l’homme de sa vie » qui l’avait fait tant souffrir, ni des colons portugais, ni du fonctionnement du Théâtre Français. Ils ont eu des enfants. Abandonnant les grands horizons du droit international public, Marianne s’est reconvertie dans l’étude de la psychologie qu’elle pratique aujourd'hui au sein d’un établissement d’aide sociale. Elle s’intéresse aussi à la psychanalyse.]

jeudi 9 août 2012

Une Etudiante

Depuis quelques temps Marianne change d’humeur. Alors que nous l'avions connue coquette et conciliante comme une jeune fille qui cherche normalement à plaire, voilà qu’une tendance nouvelle se déclare chez elle : prompte à s’enflammer pour des abstractions, elle s’exprime avec véhémence sur des sujets qui, il y a trois semaines encore, l’auraient laissée totalement indifférente. Son ardeur à la dispute est en lien direct avec la situation de quarantaine sentimentale où elle languit, et elle s’accentue au fur et à mesure que son attente est déçue. Sans doute la solitude exalte-t-elle l’imagination ; d’autant plus, pour Marianne, qu’elle se double d’un espoir de réconciliation qui tarde à s’accomplir. C’est en tout cas le désappointement qui domine en elle, le sentiment d’être maltraitée par la vie ; et la perte de confiance en soi qu’engendre ce constat d’échec la rend souvent agressive, elle qui, quand tout allait bien, avait un caractère sociable et accommodant.

Ses propos sur des thèmes aussi rebattus que l’égalité sociale, la condition féminine, les libertés publiques etc., inévitables entre étudiants en droit, révèlent, qu’elle soit d’accord avec nous ou d’un avis opposé, l’émoi ombrageux qui sert d’aiguillon à ses impétueuses convictions. Le besoin de revendiquer qu'elle fixe parfois sur des objets infimes, n’efface cependant pas toujours ses élans insouciants d’autrefois. Marianne retrouve quelque chose de ses réactions d’antan quand ses éclats de voix lui ont permis d’exprimer son mal intérieur, et, grâce à l’énergie dépensée, l’ont provisoirement apaisée.

Par bonheur, le dogmatisme humanitaire n’a pas encore totalement pris possession de la nature étourdie et légère de Marianne, et il me semble de l’intérêt de tous, comme du sien en particulier, qu’il n’y parvienne jamais.

Simplement, depuis que l’étudiant en médecine, Viard, dont elle partageait épisodiquement l’existence et qui finançait sans doute un certain nombre de ses loisirs – elle l’appelait couramment « l’homme de ma vie » – depuis que ce camarade lui a préféré une autre compagnie féminine, Marianne confond son état d’abandon avec tout ce qui subit de par le monde un sort d’iniquité comparable, et articule, comme un truchement à sa propre défense, le plaidoyer des opprimés de tous bords, de son ton de voix maintenant fervent et plaintif. Quiconque s'apprête à la contredire, se trouve moralement dans son tort avant même d’avoir proféré une syllabe. Elle mêle à ses doléances un sentiment de scandale qui imprègne la totalité de son être et, mezzo voce, semblable à un écho assourdi, le gémissement d’une tristesse dont elle vit, sans les comprendre, les états désenchantés. Après un temps de recueillement nécessaire, elle repart de l’avant, enchaînant les formules qui émaillent depuis peu ses propos : « mais enfin », « hé bien, non alors », « je ne sais pas, moi, mais c’est pas possible… », « bon bin zut, c’est vrai quoi », « mais ça ne peut pas rester comme ça », des « je ne sais pas, non ? » ardents qui évoquent les locutions invariables dont usent les enfants lorsqu’un malheur les atteint.

Pour Marianne, le monde entier doit être refait ; et en l’absence d’une solution pratique ou d’un projet précis, le meilleur moyen d’y parvenir est encore, selon une formule aujourd'hui à l'honneur, de tout flanquer bas de l’édifice social. « Ce sera toujours ça. » Une solution aussi radicale, qui exclut délibérément l’éventualité d’un remède pire que le mal, dissimule à peine la volonté paresseuse de confier la réformation de sa vie à un bouleversement extérieur, qui la dispenserait de toute initiative et de tout effort de mise en œuvre ; une aventure en forme de déflagration qu’il suffirait à Marianne d'appeler de ses vœux pour repartir d'un meilleur pied. Ses protestations qui sont une façon de porter le deuil de sa liaison défunte, s’expriment à travers le bagage des fiches de lecture, exposés, nomenclatures et bibliographies que l’instruction publique lui a inculquées. Elle a fait l’achat d’un chemisier noir et d’un imperméable de la même couleur où elle transpose inconsciemment son veuvage. Les vérités apprises par Marianne, dont l’absolu s’imprime sur les réseaux les plus ténus de sa sensibilité féminine, prêteraient à sourire s’il n’était pas inquiétant, comme il l'est pour chacun de nous, de voir sa personnalité confondre l’empire qu’elle s’adjuge sur soi, avec le gouvernement du monde.

Je me souviens d’une soirée au début de l’année 1973, en février je crois, chez notre ami Jean-Adrien. Celui-ci nous recevait avec sa vieille maîtresse, Solange, qui avait à l’époque cinquante-trois ans et veillait jalousement sur lui ; celle-ci, dès qu’elle le put, fit aux étudiantes qui participaient à cette soirée la confidence de certains détails on ne peut plus indiscrets de sa vie intime dont l’étalage avait pour but de les convaincre de ses droits d’exclusivité sur l’objet aimé, âgé de près de trente ans de moins qu’elle et, à ce titre, pour elle difficilement remplaçable.

Une scène, à ce propos, me revient en mémoire ; elle a pour décor un restaurant de Mirmont, où nous nous étions retrouvés entre amis de la Faculté de Droit, parmi lesquels Jean-Adrien et sa pétulante Solange. Kellouche était là, comme d'autres étudiants habitués des lieux, et, nous voyant attablés, s’était approché pour échanger quelques mots avec nous et rompre un instant avec les ratiocinations politiques qui emplissaient d’ordinaire tout son esprit. Après un échange de banalités, il avait avisé la présence de Solange. Intrigué par la vue de cette femme dont les formes mûrissantes tranchaient sur la fraîcheur de son entourage, il comprit à certains signes qu’elle était plus étroitement attachée à son voisin de table, Jean-Adrien, avec lequel elle échangeait des marques de familiarité ostensibles. Malgré le caractère affiché de leur entente, Kellouche se trompa sur la nature des liens qui les unissaient. Désignant Jean-Adrien du doigt, il interpella Solange avec une curiosité sympathique mais gaffeuse et lui demanda, pour l'amusement des autres convives : « C’est votre fils, Madame ? »

(à suivre)

lundi 6 août 2012

Professeur BOUIN (suite)

Monsieur Bouin, un peu ébranlé, reprend :

– Je travaille beaucoup ces temps-ci, j’ai accepté une trop grande variété de cours qui n’ont rien à voir avec ma spécialité [le droit administratif] et dont j'aborde la matière pour la première fois… Cela me donne bien du mal et la qualité de mon expression pâtit évidemment de cet état de surmenage car  je suis malheureusement trop chargé. Ainsi, moi,  dès lors que je me mets à dire « difficile » au lieu de « différent », je sais que c’est parti et que les erreurs vont se succéder les unes les autres. C'est terrible… et pourtant je me force à aller jusqu’au bout, parfois même – c’est un reproche qu’on peut me faire – je dépasse l’heure… Le programme est si vaste !

– C’est normal, fais-je pour l’approuver ; la terminologie en droit est souvent très complexe.

Mais Bouin craint, dans son hésitant souci de perfection, que cette dernière remarque n’épingle en lui une tendance à se complaire dans un pédantisme inutilement abscons. Il exprime sa gêne d’une brusque inclinaison des sourcils. M’étant engagé, et ne pouvant faire machine arrière, je poursuis ma démonstration :

– Rien que des mots comme « cocontractant » ou « cofidéjusseur » ou « pollicitation » expliquent  qu’on puisse trébucher en les prononçant.

– Ou encore « anticonstitutionnellement » place finement Florentin.

Et comme Bouin revient à ses lapsus, inquiet de  connaître l’effet qu’ils produisent sur son auditoire, Florentin lui dit, croyant dissiper ses appréhensions :

– Il ne faut pas croire que les étudiants soient tous capables de relever les erreurs que contiennent les cours ou les polycopiés… beaucoup en sont très loin.

En dépit de cette observation réconfortante, le sujet n'est pas épuisé ; la conversation s’étire et traîne en longueur, Bouin ne se décidant toujours pas à y mettre un terme, faute de savoir de quelle façon prendre congé sans risquer une inconvenance. Finalement, lassés de cette discussion décousue, nous invoquons, pour pouvoir nous retirer, les obligations d’un emploi du temps fictif. Lorsque nous le quittons, Monsieur Bouin, plus que jamais empêtré de lui-même, se pousse précipitamment contre le mur, en arrière, pour nous laisser le passage.

Gilles Gros, quant à lui, nous avait devancés depuis quelques temps déjà au prétexte que ses responsabilités de moniteur de bibliothèque ou ses recherches érudites l’appelaient ailleurs, et il nous avait prestement plantés là.

 

Une autre fois, Monsieur Bouin, au sortir de son cours de droit administratif, m’entreprend sans préavis, juste au moment où je tente de m’éclipser de l’amphithéâtre. L’intérêt dont il m’honore tire sa cause du besoin urgent qu'il ressent de se donner une contenance : il est en effet tout gêné d’avoir dû se retirer de l’amphithéâtre sur une remarque aigre faite l’instant d’avant à son public, et veut démontrer, en accaparant le premier venu, qu’il sait aussi nouer des rapports de confiance avec ses étudiants. La chance veut que le premier venu en l’occurrence, ce soit moi.

Il m’arrête en me tenant de but en blanc les propos suivants :

– C’est que, vous comprenez, je ne voudrais pas qu’on m’accusât comme on l’a fait pour certains de mes collègues, de pratiquer uniquement l’exégèse de l’article 700 […et des poussières] du code administratif.

Je ne cache pas mon étonnement à le voir fondre sur moi et m’agripper de cette manière imprévue. Son trouble s’en accroît et il prend le parti de continuer à monologuer à mon adresse, sans me regarder.

Comme je ne comprends rien à son parler entortillé, j’interviens au hasard avec des oui, bien sûr, évidemment que j’essaye de rendre le moins affirmatifs possible pour le cas où mon approbation irait à rebours de ce qu’il entend démontrer.

Je profite d’une respiration de sa part, pour réfréner son éloquence savante et lui transmettre le bon souvenir d’un ami de mes parents qui a eu le privilège d’être son condisciple à Sciences Po où Bouin avait fait un crochet avant de se diriger vers l’agrégation en droit. Ce dernier, plus intimidé de devoir quitter les abstractions pédagogiques que rassuré par la possibilité de traiter un sujet banal, esquisse deux ou trois mots de circonstance avant de se réfugier dans le labyrinthe d’une phrase interminable sur : les années qui sont parfois si proches, parfois si lointaines… (Je simplifie beaucoup.)

Fatigué de cette conversation à bâtons rompus qui devient d’autant plus laborieuse qu’elle tend à signifier quelque chose, je profite du premier silence un peu prolongé pour saluer le professeur Bouin, toutjours incapable de clore une conversation, même vis-à-vis de l'élève subalterne que je suis.

dimanche 5 août 2012

Professeur BOUIN (1970)

 

Vers deux heures, Florentin et moi, rencontrons Gilles Gros, le fils du procureur général, qui sort de la bibliothèque de Droit. Florentin qui ne l’a pas reconnu à cause des lunettes que Gros porte uniquement pour ses travaux écrits et ses lectures, le salue d’un cérémonieux « Bonjour Monsieur ». Nous faisons parler Gilles de notre condisciple Marie-Pascale Lambert afin de savoir s’il a appris qu'elle s'était mariée. (Florentin vient de rencontrer la jeune fille qui l'a quitté en lui disant « je vais rejoindre mon mari » après une bizarre conversation au cours de laquelle elle déclarait avoir récemment perdu un enfant. Or le témoignage d’une amie de Marie-Pascale, en plus de ce que je connais personnellement de sa famille et de son mode de vie, contredit absolument ses paroles et nous la soupçonnons d’être folle.) Je précise à Gros que ma question s’inspire d’une rumeur absurde qui court la Faculté, à laquelle je me garde bien sûr d’accorder le moindre crédit.

– Ce que tu me dis ne me surprend pas répond Gilles, sans autrement s’attarder à mes réserves ; j’ai moi-même entendu Marie-Pascale appeler une fois un type « mon ex-mari » en lui disant bonjour ; et ce type lui avait répondu « Bonjour mon ex-femme »… Comme Marie-Pascale est tout sauf le genre de fille à étaler ses anciens flirts, on peut fort bien penser qu’elle a été effectivement mariée. C’est, certes, seulement une supposition… Mais mariée, cela me paraît tout à fait possible. D’ailleurs elle n’est pas si jeune : elle a vingt-deux ans !

– Tant que ça ? dis-je.

– C’est mon âge, reprend Gilles mi-figue mi-raisin. En tout cas, elle n’est qu’en seconde année de licence ; et pour une fille qui a une constitution solide et n’a certainement pas eu de gros problèmes de santé, on comprend mal qu’elle ait pris sans une raison particulière, un retard si important dans ses études…

Un beau raisonnement qui nous paraît irréfutable, à Florentin et moi, surtout que Gros, pour en accentuer encore le côté persuasif, se présente aujourd’hui sous un jour spécialement répugnant : un veston gris à chevrons taché de graisse, trop étroit et dont les manches trop courtes laissent dépasser les manchettes élimées d’une chemise jaunie, plus râpée par l’usage que par le lavage. Le négligé de sa tenue jure d’autant plus  avec l’attaché-case qu’il tient au bout du bras, comme l’accessoire emblématique du juriste compétent dont il porte l’estampille.

Nous remarquons, Florentin et moi, que Gros, à force de réfréner et de contraindre sa diction bégayante, parle maintenant avec une sorte d’accent chantant qui constitue pour ce breton bretonnant un luxe méridional saugrenu…

(Nous verrons plus tard que la conversation que je viens de rapporter, si on la considère à la lumière des évènements plus récents, relève de ce mystère insolite qui imprègne certaines des circonstances en apparence insignifiantes de la vie quotidienne. [voir ci-après : La Famille Gros])

Nos propos sont interrompus par la venue du professeur Bouin qui s’avance vers nous pour échanger quelques mots avec Gilles. Celui-ci, grâce à sa réputation d’étudiant de valeur dont la carrière juridique apparaît d'avance couronnée de lauriers, tient dans la Faculté de droit de Mirmont un rang intermédiaire entre le corps enseignant et l’obscure population des étudiants sans avenir. Aussi a-t-il la faveur des professeurs qui lui confient certaines tâches de monitorat (exposés venant compléter tel ou tel cours magistral, aide aux débutants dans la bibliothèque). Après lui avoir délivré son message, Bouin, pour s’éviter de prendre congé le premier, se voit obligé d’engager une conversation avec nous trois, Gros, Florentin et moi. Il se dandine timidement d’un pied sur l’autre, mal assuré, s’exprimant à mi-voix, souvent sans trouver à terminer ses phrases. Il fixe anxieusement son interlocuteur de toute la puissance de ses yeux de myope.

La conversation s’engage sur la grippe à propos de laquelle le professeur lance une boutade qu’il veut spirituelle :

– J’ai été à Hong Kong l’année dernière mais je n’en ai pas ramené la grippe – ni des stupéfiants d’ailleurs !

Florentin et moi saisissons l’occasion de rire poliment à cette saillie qui amuse surtout son auteur.

– Ah ? Il y a du  trafic de drogue là-bas ?

– C’est une façon de se payer de la guerre des Boxers plaisante sentencieusement Florentin à qui Bouin et Gros font remarquer de conserve qu’il confond la guerre des Boxers avec celle des Boers. Le professeur Bouin trouve alors le moment approprié de me demander, comme s’excusant :

– N’avez-vous pas remarqué que ce matin je n’ai cessé d’accumuler les lapsus pendant mon cours ?

En effet, la cacophonie de Bouin, dans la matinée, n’était pas passée inaperçue de l’amphithéâtre et Florentin et moi nous en étions amusés comme l’ensemble de l’assistance.

Nous balbutions une réponse évasive, un peu démontés par la naïveté de la question. Pour le tranquilliser, Florentin ajoute que, sous l'influence de la fatigue, chacun de nos professeurs a eu, un jour ou l’autre, des maladresses d’expression ou des confusions de mots à se reprocher.

– Par exemple, Monsieur Munier, l’an passé, avait cette difficulté. En fin d’après-midi, il buttait sur ses phrases quand elles étaient un peu développées ; il était souvent obligé de se reprendre.

La révélation étonne tout le monde, et il y a de quoi ! Florentin, faisant lui-même une confusion, a cité par erreur, au lieu du nom de Monsieur Régnier, obscur tâcheron du droit des finances publiques dont il veut évoquer les défaillances de langage, le nom de l’illustre professeur Munier, civiliste réputé, célèbre à la Faculté pour la netteté de son élocution et un don oratoire toujours prêt à accentuer sa virtuosité.

(à suivre)