jeudi 23 août 2012

Un Maître en littérature (suite)

Dans le cadre de la critique télévisuelle où l’intelligence, au mieux, se confond avec le besoin instinctif de se mettre en avant, et où les comptes-rendus de lecture se noient dans la paraphrase, l’étalage des sentiments personnels et les procès d’intentions, Max-Pol Fouchet est à son article. Il trône comme un Bouddha juvénile et mafflu, la bille épanouie, prudhommesque ou bel esprit suivant les circonstances.

 J’ai en mémoire une émission qui traitait de Victor Hugo, écrivain comique. Les hautes considérations pleuvaient ; la question fondamentale qui tracassait ces messieurs était de savoir si le génie des Contemplations se doublait, comme on l’a prétendu souvent, d’une ganache sotte et pontifiante. Eux se faisaient fort d’apporter la preuve contraire et de laver ainsi, plutôt que le poète – car qu’ont de commun la poésie et l’intelligence ? –, le champion des causes républicaines du soupçon de bêtise qui souille parfois sa réputation. Ils s’étaient donc mis en tête d’établir que le vainqueur d’Hernani, loin de l’image d’un titan ingénu forgée par la légende, possédait un sens de l’humour raffiné ; que sa fantaisie, parfois teintée d’irrespect, démentait l’attitude gourmée et puérilement égocentrique dans laquelle la postérité l’avait injustement figé. Ce parti-pris suivant lequel Hugo aurait eu la veine boulevardière ne manquait pas de sel de la part de lettrés qui se font couramment gloire de dédaigner les mots des vaudevillistes, les facéties, calembours, rébus et autres jeux d’esprit gratuits risqués par les auteurs légers.

L’un des spécialistes de l’hilarité hugolienne vanta alors, comme un écrit qu'il aurait eu le mérite d'exhumer, le poème bien connu dans lequel un ogre, lassé d’attendre une fée, mange son petit garçon, autrement dit « croque le marmot ». La pièce fut lue par une jeune fille qui devait être fraîche émoulue du conservatoire national d’art dramatique et en rajoutait un peu trop en finesse sur les intentions du texte, avec force moues entendues et une volonté de bien faire plus qu'évidente. Le moindre des effets comiques, dûment souligné par la lectrice, excitait les rires charmés et approbateurs de l’assistance. La chute finale – il ne faut pas laisser les ogres croquer le marmot… – déchaîna une gaîté ravie et surprise. Qui aurait pu dire si ces auditeurs de choix étaient réellement étonnés à l’écoute d’une pièce reproduite par toutes les anthologies de l’humour français, dont ils n'auraient cependant jamais entendu parler, ou s’ils feignaient seulement de la découvrir ?…

Quand le silence se rétablit, plus personne n’avait grand-chose à ajouter. C’est ce moment que choisit la jeune comédienne, flattée du succès qu’elle venait de s’attirer et désireuse d’apporter sa contribution à la louange du poème hugolien, pour constater « c’est plein d’humour ! » avec une conviction inopinée qui laissait supposer qu’elle en doutait jusque-là.

Un second hugolâtre se manifesta alors ; un universitaire. Il demanda la permission, qui lui fut volontiers accordée, de  raconter une anecdote très révélatrice du tempérament comique du poète :

– Un jour Victor Hugo se trouvait à l’Opéra ; il participait à une soirée officielle qui lui paraissait guindée. Il s’y ennuyait. Voilà qu’il fait la connaissance d’un diplomate originaire d’Europe centrale, qu’on lui présente comme étant : Monsieur Kislève. « Je préfère Madame Qui-s’couche » répond Hugo du tac au tac.

Des exclamations joyeuses saluèrent cette ingénieuse répartie et on put alors admirer Max-Pol Fouchet, cet honneur des lettres françaises, abandonné à une inextinguible hilarité, comme si on lui avait cité l’à-peu-près « comment vas-tu Yau de poêle ? » en lui certifiant que Marcel Proust en était l'auteur.

Car pour Max-Pol et sa cohorte de thuriféraires, le snobisme est une sauce qui dispense de s’interroger sur les mets qu’on vous sert.

1 commentaire: