jeudi 23 août 2012

Un Maître en littérature (1973)

 

Max-Pol Fouchet tient actuellement le rôle de grand oracle des lettres françaises à la radio et à la télévision. Avec son minois épanoui de vieux bébé farceur, ses mots d’esprit forgés à l’avance et son aura d’homme de tous les progrès, (l’un de ses reportages qui traite favorablement de Cuba vient d’être interdit d’antenne) Max-Pol, comme l’appellent les initiés, intervient chaque semaine sur le petit écran pour y exprimer des opinions bien senties et toujours opportunes sur la littérature de son temps.

Son éclectisme lui permet de conseiller aux auditeurs, comme une perle de la meilleure eau, la lecture des Pensées de son ami Pierre Dac, récemment réunies en recueil. Mis à part quelques aphorismes savoureux, tirés de L’Os à Moelle et par conséquent déjà connus de tous, l’essentiel de la brochure se compose d’à-peu-près fabriqués à la chaîne, dans le genre (j’improvise :) « Quand on frappe les trois coups, c’est rarement pour enfoncer le clou du spectacle » ; s’y ajoutent quelques variations sur des thèmes déjà défrichés par les humoristes célèbres, l’essentiel de l’ouvrage tenant dans des réflexions et  maximes que Pierre Dac, lorsque leur banalité le laisse insatisfait, conclut par la locution « et inversement » ou « et vice versa », voire par un « poil au… » complété par un mot trivial choisi en assonance avec la fin de la phrase. Tout récemment, l’auteur, interrogé sur ce recueil, déclarait avec modestie : « Il m’a fallu faire un choix car j’ai encore dans mes tiroirs des centaines d’autres pensées. » Grâce !

Mais Max-Pol Fouchet, loin de s’effaroucher de l’improvisation commerciale d’où procède le florilège des saillies drolatiques de Pierre Dac, y discerne au contraire l’ascèse d’un grand écrivain qui « a le courage de ne pas se prendre au sérieux ». Or peut-être devrait-on préférer à cet art de la dérision qui s’exerce surtout aux dépens du lecteur, lésé dans son attente d’un ouvrage de qualité, le sérieux d’un humoriste dont l’amour propre s’attacherait à la valeur de sa production… Mais ce genre de considération n’a pas place dans la souple morale de Max-Pol.

Il y a peu je regardais la télévision ; Max-Pol Fouchet confiait au téléspectateur ses impressions sur un roman dernièrement paru, écrit par un espagnol. Il se trouvait justement que cet espagnol s’était battu au côté des brigades internationales et avait dû s’expatrier en France après la victoire du parti franquiste. Max-Pol brossa une rapide biographie de l’écrivain puis, en véritable analyste qu’il est, se lança dans la narration exhaustive de l’intrigue : un jeune homme arrive en France, il y prend une maîtresse, il la quitte, il voyage, il revient, il la retrouve. À la fin, il embarque sur un paquebot « où un steward tient la place un peu symbolique du destin et se conduit d’une façon très étrange », et change de maîtresse… Je ne sais plus si le bateau coulait alors ou arrivait à destination mais cette dernière péripétie n’avait finalement pas grande importance. Satisfait de son rapport, Max-Pol termina en ces termes : « Vous voyez que ce roman nous ménage des surprises, et après le résumé que je viens de vous en donner, je n’ai pas besoin d’attirer votre attention sur son originalité. J’ai beaucoup aimé cette œuvre. Pourtant je ne parlerai pas de "chef d’œuvre". Non… Je ne sais pas exactement pour quelle raison, mais je ne crois pas que ******* soit un chef d’œuvre. En tout cas c’est un très beau roman et à notre époque ce n’est déjà pas si mal. » (Sourire fin et heureux.)

Pour moi je ne pense pas que ce commentaire littéraire efface de la mémoire des amateurs le souvenir des Lundis et Nouveaux Lundis de Sainte Beuve ; il a du moins l'utilité de nous renseigner sur les qualités d'analyse du grand critique dont il émane.

Max-Pol Fouchet sévit à un rythme hebdomadaire à la télévision dans l’émission Italiques, en compagnie d’autres critiques, écrivains et biographes. « Chacune de ses interventions, proclame un journal enthousiaste, constitue à elle seule un véritable enseignement sur l’histoire de la littérature. » Le présentateur est un type élégant, content de lui, qui manifestement ne connaît pas grand chose aux sujets dont il anime le débat. Pour masquer son ignorance, il adopte le ton railleur et brutal qui fait flores depuis peu à la télévision. Hissant l’absence de tact au niveau d’une spécialité virtuose, il interrompt sans ménagement ses invités pour leur signifier qu’ils ont dépassé leur temps de parole ou les informer que leurs propos, à partir d’un certain stade, n’intéressent plus personne. Echappent bien sûr à la rudesse de cette franchise les gloires habituellement célébrées par les media, parmi lesquelles le débonnaire Max-Pol.

(à suivre)

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