vendredi 3 février 2012

Le G.A.L.C. (suite n°V)

Il y eut deux représentations des Précieuses (pour parler à la façon des élèves du conservatoire d’art dramatique de l'époque qui disaient aussi : Badine lorsqu’ils nommaient le chef d’œuvre de Musset…). Je participai en qualité d’éclairagiste à la seconde représentation qui eut lieu au théâtre d’Issel, à une quinzaine de kilomètres de Mirmont. Quand nous revînmes le soir dans le train de banlieue brinqueballant, nous nous réfugiâmes au fond du wagon, Dubois sortit sa guitare de son étui et, en s’accompagnant, nous chanta Memphis Tennessee tandis que nous roulions dans la nuit. Noël s’annonçait par des illuminations qui brillaient par taches dans le lointain ; les fêtes étaient distantes de nous d’une semaine. Bercé par la ballade mélancolique, je savourai une bouffée de liberté et de poésie nouvelle pour moi, qui me semblait annonciatrice d’un avenir énigmatique et sensible, à l’image du long cheminement du lonesome rocker décrit par les paroles inspirée de la chanson de Danyel Gérard.

La comédie suivante fut Monsieur de Pourceaugnac. Singulière idée, pour l’autorité lycéenne, d’avoir jeté son dévolu sur cette pièce bien faite pour exciter le mauvais goût d’une troupe de jeunes comédiens amateurs en mal d’effets comiques et de vraie originalité... Le résultat fut à la hauteur du risque pris.

Le G.A.L.C. ne se préoccupait pas que de théâtre ; il couvait aussi un ciné-club aux activités erratiques, qui proposait le spectacle de quelques films classiques, pour ne pas dire rebattus, pendant l’année. Nous vîmes dans ce cadre Le Carrosse d’or de Renoir. Lenormand, notre professeur de français de troisième qui se flattait d'être un cinéphile passionné, nous commenta ce film dans le registre tonitruant et excessif qui était habituellement le sien en faisant le plus grand cas de son rythme alangui, et de ses décors en carton-pâte et de sa pellicule aux coloris criards. La classe entière s’était considérablement ennuyée pendant la projection mais pour des motifs si peu en rapport avec la médiocrité du spectacle que je fus aussitôt tenté, adoptant le point de vue inverse, de découvrir à l'œuvre de Renoir des intentions incomprises du commun. Ma contrariété une fois calmée j’en revins à une plus juste idée critique du film qui ne méritait pas mieux que l’indifférence méprisante dans laquelle les cancres de la classe, non prévenus par la lecture des Cahiers du Cinéma, s’étaient sentis autorisés à l’accueillir. Un Condamné à mort s’est échappé, eut plus de succès auprès de nous. Il caressait en chacun de ses jeunes spectateurs un vieux rêve d’escapade qui nous emmenait loin des murs du lycée Boileau et nous délivrait pour un temps d’une tutelle dont nous ne voyions pas la fin. Cela nous valut un sujet de composition française traité dans le prolongement du spectacle et centré sur la maxime de Guillaume d’Orange « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » que nous dûmes soupeser. Lenormand qui doublait ses attitudes fanfaronnes d’une philosophie bravache de l’action et de l’énergie (il se vantait d’avoir pris un jour inopinément la route de Colmar avec épouse et enfants dans ses bagages pour assouvir une brusque envie de revoir le retable d'Issenheim exposé à quelque cinq cents kilomètres de chez lui, et d’avoir fait l’aller-et-retour en voiture pendant le temps d’un week-end), Lenormand avait trouvé dans la formule du prince d’Orange le concentré des qualités de caractère qu’il rêvait d’incarner.

Nous vîmes aussi Madame de de Max Ophüls ; Le Père tranquille qui raconte l’histoire d’un bourgeois de province conformiste et poltron, confronté à l’occupation allemande, dont le spectateur découvre avec surprise qu’il est en réalité le chef des réseaux de résistants de toute la région. Monsieur Holleau, notre professeur d’histoire-géographie de troisième, qui avait auprès de ses élèves la réputation d’être affilié au parti communiste, nous fit part de son opinion selon laquelle Le Père Tranquille de Noël-Noël, hé bien, non, lui n’appelait pas cela « un bon film sur la résistance ».

Quand je quittai le lycée en 1968, il y avait belle lurette que le G.A.L.C.allait à vau-l’eau. La fête de la Bruyère ne s’était pas remise du départ de Monsieur Vildaquet, appelé à poursuivre sa carrière à la tête d’un prestigieux lycée parisien. Ni MIRUS ni L’AGORA n’existaient encore. Les clubs avaient disparu.

Pendant les évènements de mai 1968, Le Goanvic fut de ceux qui soudain se targuèrent de comprendre le « problème des jeunes » dont la veille encore ils ne soupçonnaient pas l’existence, et qui, abasourdis par le fracas ambiant, voulurent discerner du bon dans les propositions inconsidérées qui fusaient de toute part. Il confessa par la suite s’être trompé lorsqu’à la rentrée de 1969 il vit de quelle monnaie on s'apprêtait à le payer de son ouverture d’esprit [voir ci-après « Une soirée chez les Achard »]. L’idée ne lui était jamais venue que les ferments de la révolution pourraient bouleverser la tranquillité de son magistère dès lors qu’il ne serait plus protégé par l’armature d’un ordre conservateur dont il avait sous-estimé la grâce efficace, croyant que l’autorité qu’il exerçait de manière mielleuse et insinuante sur ses élèves ne devait rien qu’à son rayonnement personnel.

Le dernier souvenir que je puis raconter sur Le Goanvic je le dois à Florentin qui, en 1969, assista à une soirée Poésie organisée par les élèves de terminale de Boileau. Le Goanvic était présent dans la salle, mais vexé de ce que personne n’eût voulu accepter ses conseils, non plus que ceux de ses collègues, d’ailleurs. Les professeurs avaient été tenus à l’écart de cette manifestation. Le récital terminé, Le Goanvic critiqua amèrement les intermèdes comiques glissés par les récitants entre les poèmes. Florentin qui l’entendait se répandre en commentaires aigres, décida d’y mêler son grain de sel en le contrant avec un flegme d’autant moins simulé que le fond du débat le laissait indifférent : c’était pour le simple plaisir de discuter. L’auteur de L’Amitié n’a pas de prix supporta très mal qu’un inconnu vînt lui battre la controverse.

 « Bon, si vous voulez du cabaret, bien sûr ! » s’exclama-t-il avec colère en tournant les talons devant Florentin intérieurement satisfait de son effet.

Cette ultime phrase me paraît conclure mieux que je ne saurais le faire les développements qui précèdent sur les œuvres et les actes aujourd’hui bien oubliés du G.A.L.C. ; je m’y tiens, d’accord en cela avec l’Histoire qui depuis n’a rien révélé de neuf sur la galaxie culturelle du lycée Boileau ou sur son champion, Le Goanvic – si ce n’est que la tradition cabaretière n’est jamais loin lorsque l’Enseignement décline de mot « culture ».

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