vendredi 18 octobre 2013

Le Cahier Chamboulive (suite n°II)

Cette scène se passait vers la mi-juin 1967. Peu après, l’orchestre se produisit et parvint à limiter les dégâts. À l’entracte j’allai féliciter Monsieur Rousseau qui jubilait, l’air triomphant. Mais le réveil fut dur… Pendant le cours facultatif de la semaine suivante notre professeur de musique, exhalant sa rancœur devant Desclous et Quentin, se déclara furieux contre l’orchestre auquel il reprochait d’avoir joué entièrement faux et de l’avoir couvert de ridicule. Le secret de ce brusque revirement était simple, le concert avait été enregistré et l’enregistrement, très imparfait, avait douché un peu trop vivement l’enthousiasme de la veille. Rousseau, en colère, envoya contre son électrophone un coup de pied de haut style avant de déclarer qu’il eût été préférable de me confier la partie soliste du menuet de L’Arlésienne à la place du fils Lemaire. J’ignore sur quoi se fondait son opinion car il ne m’avait jamais entendu jouer la moindre note. Ma dégradation de premier flûtiste au rang de deuxième flûte avait pratiquement coïncidé avec la fondation de l’orchestre et, m’étant trouvé depuis cantonné à un rôle mineur pour ne pas dire parasitaire, je n’aurais pu de toute façon, quand même l’eussè-je voulu, faire la démonstration de mes talents.

Les vacances survinrent ; nous consacrâmes alors un après-midi à nous rappeler au bon souvenir de notre professeur de musique. C’est Desclous qui attaqua au téléphone avec un : « Allo Monsieur Rousseau ? Ici Voltaire. » Desclous devait s’inspirer d’un texte que nous avions rédigé à deux. Mais cette fois-ci notre correspondant raccrocha rapidement ainsi qu’au  coup suivant où Desclous voulait se faire passer pour Madame Bouchou. Je le relayai. Rien ne répondit à mon appel. Je poursuivis, ne sachant trop si l’on m’écoutait à l’autre bout du fil ou si l’on avait déjà raccroché, et improvisai par jeu une tirade dans le style des films de détective américains « alors on se tait, on ne dit plus rien ? » « nous allons vous faire parler », « vous allez vous mettre à table » etc. Je conclus ce monologue par une phrase dont les répercussions furent lointaines : « regagnez donc votre plumard, c’est ce que vous avez de mieux à faire. »

Pendant les grandes vacances j’envoyai une carte postale à Monsieur Rousseau qui, très touché de ce geste, m’en remercia à plusieurs reprises à la rentrée.

 

 

 

Année scolaire 1967/1968 :

 

 

Les cours facultatifs reprirent en septembre 1967 ; nous nous y inscrivîmes, Desclous et moi. Quentin Valois qui les suivait l’année précédente, n’était plus là, ayant entre-temps quitté le lycée pour un autre établissement de la grande banlieue mirmontoise ; mais son frère Florentin le remplaçait.

Les premier cours se passèrent dans une ambiance de gaieté qui me rendit bientôt importun à Monsieur Rousseau. Celui-ci continuait à accumuler les mots d’esprit involontaires :

- La première fois que j’ai eu dix-huit ans...

- Chaque fois qu’on me la raconte, cette histoire-là, je suis toujours étonné !

Nous remarquions en outre que dans les formations de chambre où il avait joué, Monsieur Rousseau avait toujours été second violon ; compte tenu de ce que nous savions de ses talents d’instrumentiste, cette précision qu’il nous apportait de lui-même sur les constantes de sa carrière musicale, n’était pas faite pour nous surprendre.

Mais un jour nous brisâmes de la façon la plus imprévue la routine paisible de nos cours de musique. Dans un recoin de son armoire à disques, notre professeur avait déposé une brochure en bandes dessinées intitulée Poussy qui provenait sans doute d’un de ses élèves auquel il l’avait confisquée. Desclous se chargea de subtiliser l’opuscule sans concevoir sur le coup aucun projet pour son utilisation future. Le jeudi qui suivait Poussy avait donc émigré à La Taille, chez Desclous qui nous y recevait, Cardon, les frères Valois et moi. Nous résolûmes de rendre à son dépositaire le petit volume dont Desclous s’était emparé, moins son contenu que nous fîmes sauter d’un coup de lame de rasoir ; il ne restait donc plus que la couverture jaune. L’un de nous eut alors l’idée de remplacer les feuilles supprimées par une épaisseur équivalente de papier hygiénique sur lequel, après l’avoir collé, Cardon écrivit sous une dictée commune : « À Monsieur Rousseau, bien hygiéniquement, Bouchou ».

Nous avions désigné Cardon pour cette tâche parce que son écriture ne risquait pas de tomber dans d’autres circonstances sous les yeux du destinataire de notre envoi. Bien empaqueté, le volume ainsi revu et corrigé fut placé le soir même dans la boîte aux lettres de Monsieur Rousseau qui dut prendre à sa lecture un plaisir extrême. Le cours suivant Monsieur Rousseau fit en sorte de placer un :

- Tiens, qu’est-ce que j’ai fait de mon petit livre jaune ? Les gars, vous ne l’auriez pas vu par hasard ?

(à suivre)

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