samedi 28 avril 2012

Monsieur CHARMOLUE

Le gauchiste, pour justifier son incapacité d’agir et satisfaire le goût complaisant qu’il  a de végéter en victime est porté à parer les évènements des couleurs les plus sombres ; il lui faut une adversité à affronter. Chez beaucoup le sentiment de la persécution domine : il gît dans leurs doléances sur le racisme anti-jeune, on le trouve dans les statistiques pittoresques des éborgnés, éclopés de tous poils et morts de mai 68 dressées par les autorités du mouvement étudiant. Le plus souvent ce besoin de justice inassouvi de la jeunesse s’ancre dans les insatisfactions d’une vie de famille encore proche où l’entourage n’a pas su apprécier votre vraie valeur, où la maman réservait son affection à un frère ou une sœur puînés, où un père vous a asséné une claque humiliante et surtout imméritée, tous évènements qui constituent dans la majorité des cas le cryptogramme essentiel de la vie d’un individu. Quelques uns pourtant s’adonnent à ce mélodrame récurrent sans s’y laisser prendre, avec le germe d’une mauvaise foi déjà tactique : il s’agit de rendre la liberté insupportable à ceux qui ne peuvent s’en passer, en leur démontrant qu’elle est un leurre pour la multitude et qu’elle ne profite qu’à une classe de privilégiés dont ils ne seront jamais. N’importe qui est en mesure de vérifier cet axiome par le souvenir de quelque mésaventure personnelle. La frustration de l’adhérent est le ciment nécessaire à la cohésion des causes militantes, et ce levain ne fait jamais défaut. Exalter à l’esclave les valeurs d'une liberté collective qui le libèrera de son servage en lui donnant un droit de priorité sur tous, c'est un tour de passe-passe classique en politique où l’apprenti-prestidigitateur puise le b,a, ba de son idéologie.

À la Faculté de droit de Mirmont, Monsieur Charmolue s’est fait une spécialité de cette pratique d’escamotage dont il multiplie les variantes tout au long de ses leçons de Libertés publiques. Sa prestesse d’illusionniste, génératrice de succès d’amphithéâtres aisés à obtenir, imprègne la totalité de son enseignement. Pour ceux qui accordent quelque crédit à ses propos, la France sous Pompidou est un pays gouverné par la terreur, qui ploie sous ses chaînes. À la tête de ses institutions une équipe d’aigrefins aussi soudés que retors, opère dans un climat de complète impunité… Plutôt que de voir dans les personnages publics qu’il désigne à notre hostilité, l’échantillon de médiocres et plats personnages dont son cours évente si aisément les grossiers subterfuges, Charmolue qui lui-même se tient pour un garçon subtil, impute à ses improbables opposants les ressources d’un machiavélisme finalement flatteur pour sa propre perspicacité : il leur prête d’autant plus généreusement des projets scélérats que l’arrivisme des professionnels de la politique, plutôt prudents et sournois d'ordinaire, ne parviendrait pas, dans la réalité, à lui fournir la matière sensationnelle dont il tisse sa vision de l’Histoire.

Quel est le procédé Charmolue ?

D’abord, analyser la situation en posant pour principe qu’elle ne cesse de se dégrader. Ensuite, confirmer la proposition initiale en se référant à quelques faits anecdotiques qui, de cas particuliers qu’ils sont, deviennent, montés en épingle, les révélateurs d’une évolution générale, dangereuse pour la sécurité et la dignité du citoyen. Mais laissons plutôt la parole à l'intéressé :

« ... Sur quoi, le pouvoir, toujours préoccupé d’étendre son emprise, a décidé de s’attaquer à la liberté de la presse (l’interdiction de l’hebdomadaire Hara-kiri, tout récemment, nous montre bien ce qu’il prépare !) En même temps il fait tout pour jeter le discrédit sur la jeunesse. Par exemple il prend des mesures contre le trafic de drogue… et justement qui consomme de la drogue ? Les jeunes ! La préfecture multiplie les entraves à  la liberté de réunion et au droit de former des cortèges. Est-ce que vous voyez quelqu’un que cela gêne au gouvernement ? Bientôt les gens n’oseront plus ouvrir la bouche, déjà ils hésitent à se confier… ils vivront les uns à côté des autres, sans plus oser se parler, de peur des représailles de l'administration. Tenez, récemment à la gare du Nord un voyageur dont le train avait eu du retard, est allé se plaindre au chef de gare : il a passé la nuit au poste… Oui, oui, voyez les journaux ! Aujourd’hui, à la gare de Nord, vous êtes fixé sur le coût de la réclamation !... Il y a quelques jours à peine, à Mirmont, mon train est arrivé avec un quart d’heure de retard ; eh bien, quand je suis sorti de mon wagon, il y avait, comme par hasard, un fourgon de C. R. S. stationné à la sortie. Si si, je vous assure ! »

Voilà un condensé des mille traits que je pourrais citer de l’argumentation charmolesque, dont je garantis l’authenticité.

Malgré tout, le mystère plane : faut-il voir en Charmolue un sot couplé d’un naïf ou un orateur madré qui s’amuse aux dépens d’un auditoire qu’il tient pour un ramassis d’idiots ? J’inclinerais pour ma part à retenir la première explication mais en y mêlant un doigt de la seconde. Précisément, avant d’en venir à la portée de son enseignement, parlons un peu de Charmolue lui-même.

(à suivre)

1 commentaire:

  1. Bravo pour cet excellent portrait, dont la vérité se retrouve encore à présent.

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