mercredi 7 août 2013

L'Abbé Galipeau (suite n°III)

Sur le coup, en effet, l’étonnement les avait empêchés de réagir. Mais une semaine plus tard, ils sommaient l’abbé de se rétracter. Celui-ci ne se souvenait plus des paroles qu’il avait proférées pour soutenir son argumentation et se crut l’objet d’une calomnieuse cabale. En règle générale, il supportait très difficilement la contradiction. Outré de notre insistance, il quitta la salle de classe et suspendit les cours d’instruction religieuse qui ne devaient pratiquement plus reprendre avant la fin de l’année scolaire (1966/1967). Personne ne s’en plaignit et il n’y eut que Cardon pour émettre quelques réserves sur l’issue de la controverse. Pacifique de caractère et éduqué dans le respect scrupuleux de l’institution ecclésiastique, notre camarade finit par affirmer de bonne foi que Galipeau n’avait jamais dit rien qui approchât les propos que nous lui prêtions. Lui, qui au début avait adhéré sans réserve au tollé général, racontait ensuite l’épisode avec une indulgence amusée ; sans doute le point de vue de ses parents dont il suivait aveuglément les avis, était-il pour quelque chose dans cette interprétation rassise et conciliante des démêlés de l’abbé.

Pendant l’année de terminale, fatigués des truismes humanitaires qui s’y débitaient, nous fûmes plusieurs à cesser de fréquenter les cours d’instruction religieuse. Ce fut le cas de presque tous les élèves qui conservaient encore une vague idée d’une religion axée sur la piété et le recueillement. En revanche nos camarades marxistes et athées, forts de leur premier bagage de philosophie, s’y pressaient pour y affûter leurs armes de dialecticiens novices dans des joutes doctrinales imposées à l’abbé Galipeau qui dut passer à cet exercice de bien désagréables moments.

L’abbé Galipeau était dévoué comme le voulait son état, mais, prompt à la déception et au découragement, il réservait ses qualités de dynamisme et de compréhension à un petit groupe assez resserré de jeunes catéchumènes dont les parents, engagés dans l’action catholique ou le scoutisme, formaient une société aux mœurs bourgeoises en même temps que discrètement militante. C’est lui qui organisait la communion solennelle du lycée Boileau dans une chapelle habituellement désaffectée dont l'arcature gothique menaçait ruine. L’entreprise n’était pas mince. Pour la retraite de trois jours qui précédait la cérémonie, un autre prêtre venait le seconder. Je me souviens que ce prêtre dont j’ai oublié le nom fut des tous premiers, dans les années 60, à tomber le vêtement sacerdotal et les insignes qui étaient censés en tenir lieu. Chargé de diriger notre retraite, il commença de la sorte son sermon d’ouverture :

– Je sais que la plupart d’entre vous n’irez plus à la messe d’ici quelques mois, voire dès le lendemain de votre profession de foi ! Alors, si vous voulez sortir, parce que tout cela ne vous intéresse pas, je vous engage à le faire et à vous en aller, car c’est le moment !

Je me suis toujours interrogé sur le bienfait pratique ou sur le profit moral qu’un directeur de retraite pouvait attendre d’une entrée en matière destinée à épurer l’assistance en l’invitant à  se retirer massivement… Le prosélytisme chrétien des origines était bien passé de mode ! Dans la France bouleversée de l’après-guerre, le clergé s’était vite convaincu que le « petit reste » annoncé par les écritures ne serait jamais aussi vite rassemblé qu’à coup de sélection naturelle, en laissant s’éteindre le peuple des croyants, jugé trop tiède et globalement trop peu éclairé dans sa foi. Sous ce rapport l’abbé Galipeau s’occupait de « recollections » qu’il consacrait à des thèmes de réflexions aussi urgents que l’interdiction par la censure du film de Rivette, La Religieuse (Problème : a-t-on le droit de censurer ? Solution : oh non !) Il organisait pour les grandes vacances des « camps de Corrèze » qui s’implantaient dans des fermes et avaient la prétention d’éduquer les paysans par l’exemple. Les jeunes campeurs participaient à leurs activités agricoles et s’employaient, par leur serviabilité et leur bonne humeur, à leur présenter l’image la plus édifiante possible du christianisme.

Le surplus des activités pies du groupe s’échelonnait sur la méditation des évangiles, les colloques et les distractions. Assez rapidement les filles furent invitées à partager les joies de cette existence communautaire et il est probable que l’esprit général, assez austère dans son principe, s’en soit trouvé modifié. Adrien Germont avait participé à plusieurs de ces camps et, ancien adhérent des Jeunesses étudiantes chrétiennes, était prédestiné à les apprécier.

– Les gens qu’on y rencontre sont vraiment très intéressants me disait-il en parlant des habitants de la campagne, sûr que cette appréciation contredirait mes idées les plus assurées.

Lui-même appliquait par là le premier commandement de la nouvelle doctrine chrétienne qui prétendait découvrir à tout propos des gens « passionnants », « riches », « profonds », « authentiques », surtout dans les lieux où ce type de créatures n’a pas la réputation d’abonder. Ils multipliaient les diagnostics admiratifs, comme le visiteur du zoo s’ébahit de voir les singes réussir des tours qu’il croyait accessibles au seul génie humain. Les singularités d’un individu étranger à la société à laquelle ils appartenaient, dès lors qu’ils s’arrogeaient le mérite d’avoir découvert sa retraite, les persuadait d’avoir débusqué une personnalité sans précédent, avec laquelle il ne leur restait plus qu’à nouer « des rapports enrichissants », profitables à leur propre perfectionnement.

(à suivre)

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