samedi 21 janvier 2012

Le G.A.L.C. (suite n°IV)

Le matin et l’après-midi, de multiples attractions étaient proposées, dont le tarif élevé en regard de l’intérêt qu'elles offraient s’expliquait par la nécessité toujours criante de renflouer le G.A.L.C., qui végétait traditionnellement dans un état proche de la déconfiture. Piste de karting, exposition de photos, stands, représentations burlesques dans une salle de classe où se donnait une prétendue satire de l’enseignement, c’était une sorte de kermesse qui présentait toutes les qualités d’improvisation et de puérilité satisfaite dont le personnel de Boileau ne se serait pas privé d’épingler le ridicule s’il s’était agi de le débusquer dans les œuvres de charité de l’Enseignement catholique. Bien des esprits forts qui se moquaient ostensiblement des écoles privées et de leurs fêtes de patronage dépassaient dans le registre de la laïcité l’infantilisme suffisant et la naïveté gourmée qu’ils imputaient aux établissements confessionnels, faisant avec eux assaut d’incapacité militante, laquelle est, comme on sait, autant  d’inspiration profane que religieuse.

L’année où la Fête de la Bruyère avait été inaugurée, l’écrivain Thierry Fourrier consentit à se déplacer pour présider la cérémonie d’ouverture et dédicacer ses livres. Il le fit comme à l’accoutumé, en grand professionnel des lettres, le sourire aux lèvres, l’air patient et serviable. Il distribua leur pâture aux amateurs d’autographes, penché sur les livres qu’on lui tendait, infatigable malgré son grand âge, semblable au petit Thierry Fourrier qui, bien des lustres auparavant, au lycée Boileau, planchait sur ses devoirs de français dont la qualité annonçait la brillante carrière d’essayiste et de romancier dans laquelle il allait triompher. Il y eut également Paul Chaumont, à titre cette fois non pas d’ancien élève mais d’ancien professeur, historiographe d’un lycée imaginaire inspiré de Boileau dont la description n’était pas trop flatteuse pour l’illustre modèle, mais qu’importe puisque le succès était là !...

Pour clore la petite chronique de MIRUS, je note que notre numéro fut le dernier. Nul à ma connaissance n’eut le courage de reprendre le flambeau. Le Goanvic le regretta certainement, et peut-être déplora-t-il la dissolution de notre équipe de plagiaires, utile après tout en période de pénurie.

Le lycée possédait sa troupe théâtrale, composée d’élèves de quatrième et de troisième, qui changeait de visage chaque année quand elle ne disparaissait pas temporairement. Sa cohésion et son niveau de qualité étaient variables ; plus stables étaient les moyens de délassement auxquels recouraient les comédiens amateurs. Le chahut salace était de rigueur sans qu’il fût probable que ce stade de distraction élémentaire évoluât vers des délassements de meilleure facture. Corbier, égaré par un enthousiasme de débutant, s’était laissé mettre sur le dos la double étiquette de responsable de la troupe et de metteur en scène ; il surprit un jour l’aimable exubérance des comédiens en herbe dont il était le mentor, occupés à de tout autres loisirs qu’à l’étude de leurs tirades. Déjà éprouvé par les multiples déboires qui jalonnaient d’ordinaire les répétitions, les retards et la nonchalance des interprètes, il trouva dans les débordements des gamins un motif déterminant de mettre un terme à cette expérience scénographique. Il se promit de ne plus se fourvoyer à l’avenir dans une telle entreprise et de laisser à d’autres martyrs candides le soin de répondre aux invites fallacieuses de Le Goanvic, toujours prêt à manier la flatterie et les protestations cauteleuses pour enrôler les tièdes au service de sa cause culturelle.

Le répertoire classique était le filon dans lequel le lycée ne cessait de puiser.

Exemple : Les Plaideurs de Racine en 1963. Je ne vois rien de spécial à en dire, si ce n’est que les chiots de l’avant-dernière scène avaient été remplacés par la cohorte familiale de Sherwani. Celui-ci, un indien à la peau foncée et mate, était notre surveillant général. Malpoli, vautré le plus souvent derrière son bureau où il somnolait sur un éternel numéro du journal local, il vous recevait avec la hauteur que les grades subalternes, lorsqu’ils souffrent de l’infériorité de leur condition, infligent à leurs propres subordonnés. Tenu de parler le moins possible à cause d’un accent prononcé et de l’imperfection de son français, il avait choisi de s’exprimer avec un laconisme pesant qui convenait à sa paresse. Son point d’honneur, il le plaçait à impressionner les élèves et à démontrer l’étendue de ses pouvoirs en sévissant à tout propos. Il avait atteint son but avec les élèves des petites classes ; les grands, eux, dans la mesure où ils le pouvaient sans risque, cherchaient toute occasion de le faire enrager. Tous détestaient sa brutalité et son chiqué. Issu d’une civilisation prolifique, il traînait après lui une ribambelle de gosses qu’il aurait été malaisé de dénombrer. Criards, agités, rétifs à tout souci de propreté, les gamins couraient à travers les couloirs et les cours de récréation comme une armée primitive lâchée dans les corridors d’une ambassade étrangère.

Un jour l’un de nous avait été envoyé à notre surveillant général pour récolter une punition ; il fut placé devant une étrange alternative : ou bien subir une consigne le samedi après-midi ou bien acheter une place pour Les Plaideurs qui se donnaient cette fois non plus sous les lambris grenat et les frises or à moitié effacées du théâtre du lycée, mais au grand théâtre de la ville. Boileau n’avait pas trouvé de meilleur procédé que ce discret chantage pour éveiller ses troupes à la vocation culturelle. La location des places de théâtre assurée par le surveillant général dut croître dans des proportions sensibles. Etait-il adroit pour autant, d’assimiler deux heures de Racine à deux heures de colle ? Souhaitant presser le choix du coupable et contribuer au rayonnement des lettres françaises en les rendant d’autant plus attractives, Sherwani ajouta :

Les Plaideurs, une grande pièce, une comédie célèbre… Corneille !

En 1964, à l’approche de Noël, Corbier présenta cahin-caha des extraits du Bourgeois gentilhomme. L’année suivante ce furent Les Précieuses Ridicules. En première partie du spectacle se produisait un groupe de musique de variétés qui s’était constitué pour la circonstance. Cette formation réunissait une guitare solo électrique (matériel dont la nouveauté était encore toute fraîche à cette époque), une guitare sèche d’accompagnement, une caisse claire en guise de batterie et un harmonium positif à titre d’orgue électrique, instrument qui se multipliait depuis trois ou quatre ans dans les orchestres rock et « yéyé ». Le clavier était tenu par notre camarade Lens qui passait le plus clair de ses loisirs à étudier Les Papillons de Schuman auxquels semblait l’attacher une prédilection inépuisable et qui n’éprouvait aucun goût pour tout ce qui s’apparentait de près ou de loin aux sonorités ou aux rythmes des chansons modernes. Hermant, le batteur qui le connaissait de longue date et savait qu’il jouait du piano, l’avait débauché, comptant sur le sérieux presque sévère que Lens dépensait en toute chose. Celui-ci, quoi qu’il en pensât, s’était trouvé dans l’incapacité de refuser son concours. Tandis que les trois autres se balançaient sur les planches en bons disciples du rock n’roll, Lens demeurait sagement assis derrière son instrument, immobile, imperturbable, le sourcil froncé, plaquant des accords avec une conscience quasi-abstraite. Aux dires des spécialistes, il manquait de conviction, de swing, de punch, de knack, de blues, de tout ce qu’on veut, et se ressentait plutôt négativement de son long tête à tête avec le compositeur des Kreisleriana. Le programme était le suivant : Le Pénitencier qui représentait l'un des gros succès des mois précédents, porté par l’interprétation déjà mythologique de Johnny Hallyday, O when the saints, Memphis Tennessee et le grand air du film Exodus pour lequel un trompettiste que je n’avais jamais vu et qui devait être un ami personnel d’Hermant, plus âgé que nous, venait renforcer la formation. Un ou deux autres morceaux d’origine anglo-saxonne que je ne suis pas capable d’identifier complétaient le répertoire.

(à suivre)

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