samedi 7 janvier 2012

Le G.A.L.C. (suite n°II)

La production cinématographique de Govo, pour user d’une abréviation répandue parmi ses élèves, se résumait donc à très peu de chose : le style en était niais sur un fond invariablement réaliste, dans le genre des manuels d’instruction religieuse qui sévissaient à l’époque. Ceux-ci offraient en guise d’illustrations des gamins dépenaillés, le cheveu en bataille ; des vieillards édentés ruminant leurs pensées sur des chaises de paille, ou bien des ménagères en tablier affairées à laver la vaisselle, tout un déploiement voulu d’humilité sociale dont le spectacle, exalté par le reportage photographique et son assujettissement à la vérité crue, constituait en soi un appel à la gravité et à la profondeur.

Au début des années 60, la langue vernaculaire montait à l’assaut de la presse catholique ; Le Goanvic était un produit de cette mouvance. Le curé, après avoir tâté un moment du monde ouvrier, devenait « sympa » et s’offrait au tutoiement de ses jeunes ouailles. Le vocable qui désignait toutes les vertus et tous les mérites était l’adjectif : formidable un temps supplanté par son synonyme plus expressif encore : terrible !... Les chanteurs  à message, les surboums, le flirt, le maquillage, les blousons noirs obtenaient droit de cité dans les colonnes des hebdomadaires catholiques dédiés à la jeunesse.

Le Goanvic, dévot et moderniste, était, dans ses œuvres, directement tributaire de l’esprit naturaliste qui irriguait alors les salles de catéchisme. La qualité majeure de son travail de cinéaste résidait dans la prise de vue, parfois calculée avec goût ; mais la réussite n’allait pas au delà de quelques clichés photographiques soignés. Un bon noir et blanc recherchant les effets de contraste et d’abstraction, ce maniérisme cinéphilique même répété à l’infini était bien incapable de  produire du vrai cinéma.

Curieusement, Le Goanvic était entiché de ses films ; on peut concevoir qu’il s’amusât à les réaliser, pour savourer les émotions d'un tournage ; mais loin de s’en tenir là, il saisissait toute occasion de les exhiber en public avec une fierté qui, quand j’y repense, me laisse pantois ! Ce n’était pas de l’humilité, qualité dont il était au fond dépourvu, mais plutôt de l’inconscience. Je ne sais combien de collaborateurs il avait réunis autour de lui. Aussi nombreux fussent-ils, il ne demeurait plus grand monde à l’heure ingrate du montage. Le Goanvic supportait alors tout le gros de la besogne. Pendant un temps il se fit seconder par notre camarade Tellier qui portait des lunettes pour myope aux verres épais. Lorsqu’il écrivait ou lisait, on voyait Tellier se courber avec une concentration pénible sur son cahier ou son livre, jusqu’à les toucher du nez ; à cause de sa vue plus que défaillante, ce garçon nous paraissait peu armé pour la fonction de monteur qui exige, au dire des professionnels du septième art, minutie et attention.

Pour préciser le tableau que je viens d’esquisser, je veux ajouter que Monsieur Le Goanvic était célibataire. Il fut un temps fiancé à la fille d’un professeur de droit qui faisait la navette avec Paris où il enseignait rue d’Assas, mais le mariage ne se fit pas. Il approchait alors de ses trente-cinq ans.  La promise n’était déjà plus très jeune non plus. Elle dut réaliser les inconvénients qu’il y aurait à épouser un homme qui vivrait continuellement sous pression et l’astreindrait aux horaires désarticulés d’un agenda surabondant de rendez-vous. La mère de Le Goanvic qui habitait Paris, avait à la longue renoncé à rendre visite à son fils à Mirmont : elle le voyait juste entre deux portes sans qu’il pût, même pour elle, se dégager des réunions, assemblées, conseils, bureaux, symposiums et séminaires qui l’absorbaient en dehors de ses cours.

J’ajoute pour ma part, que la frénésie dont sa silhouette desséchée donnait le spectacle, le mouvement exténuant et irréfléchi qui l’agitait en permanence, ne le signalaient pas comme un candidat sérieux à la compétition matrimoniale.

En dehors du cinéma, Le Goanvic patronnait les deux publications confectionnées par les lycéens de Boileau. L’une était destinée au petit lycée et se nommait MIRUS MONS, étymologie latine de Mirmont. L’autre, réservée au grand lycée, L’AGORA. Pourquoi cet hommage au monde hellénique dont nous étions si éloignés ? Je n’ai jamais su qui avait choisi cette manchette mais j’ai toujours soupçonné que ce devait être quelqu'un du genre de Le Goanvic, si par hasard ce n’était pas lui. Peut-être fallait-il comprendre que dans ses pages trimestrielles la liberté de la plume s’offrait aux élèves et qu’ils pouvaient, comme les grecs de la cité antique, affirmer leurs idées à la face des puissants ? Dans ce cas la justification du titre ne dépassa jamais le vœu pieux car la censure était là qui veillait en permanence à ce que les rédacteurs de l’AGORA ne se livrassent pas à des fantaisies trop hardies.

En 1964 je me trouvai enrôlé dans l’équipe de MIRUS MONS avec quelques camarades de quatrième : Bardou, Aublet, Pernelle que Le Goanvic avait, à la suite de je ne sais quelle manœuvre de sergent recruteur, convaincus de se lancer dans le journalisme scolaire. Quelques marmots, plus jeunes que nous, devaient joindre leurs efforts aux nôtres. Ils ne tardèrent pas à se faires oublier, leurs bonnes résolutions envolées. Nous restâmes seuls en piste, assez embarrassés par nos responsabilités. J’étais en théorie le dessinateur de la bande ; Le Goanvic avait remarqué mon coup de crayon pendant la composition de thème latin du premier trimestre en avisant les gribouillis dont j’ornais la marge de mes brouillons. Une caricature de légionnaire romain l’avait séduit. Il m’en avait fait compliment, après quoi il m’avait demandé de mettre mes talents au service de MIRUS, comme nous l’appelions en abrégé. Il m’aurait été difficile de refuser.

Nous assemblions notre désir mutuel de ne rien faire certains mercredis soir, après la classe. Les séances de notre comité de rédaction s’écoulaient en imitations de professeurs, en batailles à la craie et en inscriptions burlesques sur le tableau noir. Au bout d’une heure, nous reportions l’ordre du jour, d’ailleurs indéterminé, à la fois prochaine. Cette manière de nous y prendre eut pour résultat de transformer MIRUS, de parution trimestrielle qu’elle était précédemment, en revue annuelle. Il n’y eut en effet cette année là qu’un numéro ; encore fut-il élaboré en dernière minute, suivant un procédé qui fit que notre stage de folliculaires put être évoqué plus tard sous l’appellation de « l’année des plagiats ». L’expression est d’Aublé.

(à suivre)

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