samedi 16 novembre 2013

Le Cahier Chamboulive (suite n°IX)

Le temps de remonter à la maison, nous rédigions le billet suivant :

 

« Monsieur,  

                  

Pas mal le coup de l’inter…

 

Mais pourquoi m’avoir interpellé d’un « Monsieur » quand je n’avais pas encore ouvert la bouche ? Il paraît en effet difficile, même pour une employée de l’inter téléphonique, de connaître le sexe de son interlocuteur avant de l’avoir entendu proférer un son.

 

Félicitations tout de même pour l’effort accompli ! Ne vous découragez pas !

 

P.S. : Fameuse, votre imitation de voix féminine.

 

A.C. »

 

Une fois de plus le scribe fut Cardon qui se chargea également de déposer le message dans la boîte aux lettres de Monsieur Rousseau. Ce fut notre dernier haut fait pour l’année scolaire 1967/1968. Il nous arriva bien à onze heures du soir d’aller chanter « Bon Anniversaire » et « Le Grand Méchant Loup », Florentin et moi, sous les fenêtres du maître, mais ses capacités de sommeil étaient telles que nous ne sommes pas sûrs qu’il nous ait entendus.

Enfin sur les conseils de Desclous, je téléphonai à Monsieur Rousseau, cette fois-ci en me nommant, pour le remercier de ma note en musique qui seule, prétendais-je, m’avait permis d’avoir mon bac. Je n’obtins aucune réponse. Nous avions agi de la sorte car nous savions que Monsieur Rousseau n’avait qu’une hantise : me voir redoubler mon année de terminale, et devoir supporter ma présence à ses cours l’année suivante. Aussi, un jour où il nous écoutait, m’étais-je amusé à l’effrayer en déclarant tout de go à Desclous que je n’aurais jamais mon bac… Notre professeur, espérant s’être trompé sur le sens de mes paroles, me demanda, l’air indifférent, « Qu’est-ce que tu dis, Chamboulive ? » Je lui expliquai que pour de multiples raisons je n’avais pratiquement aucune chance de remporter le titre de bachelier à la fin de l’année. « Mais non, voyons, ce n’est pas si difficile que cela… Et puis tu es intelligent, tu travailles. Pourquoi ne réussirais-tu pas ? Mais si, tu l’auras, allez, tu verras… (haussant le ton :) Je te dis que tu l’auras ! » Malgré ces assurances réconfortantes, j’avais conservé une expression défaitiste. Monsieur Rousseau, moins convaincu qu’il n’aurait voulu, voyait poindre avec effroi une nouvelle année douloureuse. Il est probable qu’il fut de ceux auxquels mon succès à l’examen fut le plus agréable. Je lui devais bien cette satisfaction.

Les grandes vacances, spécialement pluvieuses pour ceux qui s’en souviennent, passèrent sans apporter d’autre élément au dossier Bouchou/Poussy et Cie.

 

 

Année 1968/1969 :

 

Ce n’est que peu de temps avant la rentrée scolaire que Monsieur Rousseau reprit de l’actualité. Desclous avait pendant les vacances envoyé à la Bourse de la Vocation quelques unes de ses compositions. Il lui fallait un « témoin » qui pût répondre de lui ; aussitôt il avait pensé à Monsieur Rousseau. Il était donc préférable que celui-ci fût informé de sa désignation avant de recevoir des organisateurs du concours un courrier auquel il n’aurait rien compris. Desclous téléphona donc à son mentor pour lui expliquer la situation et, afin de se montrer d’autant plus persuasif, lut aussi naturellement qu’il le put, un texte que nous avions écrit tous les deux ensemble. Monsieur Rousseau, contrairement à nos appréhensions, se montra très bonhomme et répondit à l’aspirant compositeur sur le mode : « mais oui, mon p’tit gars,… bien sûr… allez, à bientôt ! »

Quelques jours ne s’étaient pas écoulés, que Desclous retrouvait le maître au lycée dans des dispositions tout autres que celles qu’il escomptait. Monsieur Rousseau éluda la question de la reprise des cours, demanda ce que je devenais et précisa : « Parce que Chamboulive a recommencé ses c… à la fin de l’année. » Les entrevues qui suivirent n’apportèrent rien de plus positif à la situation ; Monsieur Rousseau faisait tout pour proposer des heures qui ne convinssent pas à Florentin et à Desclous, et feignait de prendre leurs dénégations pour un refus de suivre son enseignement, ce qui lui donnait en outre le luxe d’être vexé. Mais il s’y prenait si maladroitement qu’il ne cessait de se contredire, de s’emmêler dans le réseau de son emploi du temps, dans les motifs mensongers qu’il alléguait pour se prétendre indisponible. Il était manifeste que professeur Bouchou renâclait à reconstituer autour de lui l’équipe inventive qui l’avait tant distrait l’année précédente.

(à suivre)

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